Algérie - Autres fontaines

ALGER, Balade au coeur de La Casbah




ALGER, Balade au coeur de La Casbah
Photo : Hichem BEKHTI

Les z'nikate, fontaines, demeures de La Casbah n'ont aucun secret pour lui. Lui, c'est Hadj Zoubir (75 ans), natif de cette cité ancestrale. Nous lui emboîtons le pas pour un voyage au cœur de la vieille médina. Chaque empan, chaque recoin, chaque mur raconte une page d'histoire. Au détour de chaque ruelle, il y a une légende, un récit, un souvenir que notre guide du jour, alerte et dynamique, malgré le poids des ans, s'empresse de nous conter. Notre visite commence par le mausolée de Sidi Abderahmane.
A l'entrée, sur la gauche se dresse une qobbablanche. C'est là où repose Sidi Ouali Dada, le saint homme qui aurait repoussé la flotte de Charles Quint grâce à son épée magique. En contrebas, s'étend le cimetière des tolbas ; «au moment de construire le lycée Bugeaud (Emir-Abdelkader) l'administration coloniale française avait déplacé les tombes, éparpillées un peu partout, sur la partie haute du mausolée de Sidi Abderahmane», indique El-Hadj Zoubir. Vers le bas, autre qobba, celle de Sidi Flih. Fermée actuellement, le regard peut néanmoins s'y balader grâce à une petite fenêtre. On peut y apercevoir le tombeau du saint homme recouvert d'une étoffe verte. «Dans le passé, toutes les jeunes filles qui n'avaient pas encore déniché un mari affluaient de partout pour faire une ziara. Elles tournaient sept fois autour du tombeau de Sidi Flih avant d'exécuter deux prières», explique notre guide. «Ces visites se poursuivent même aujourd'hui. Les filles célibataires, à la recherche de l'âme sœur, déposent quelques pièces d'argent et du henné par cette brèche dans le mur, avant d'aller poursuivre le rituel de la prière dans le mausolée du saint patron d'Alger, juste à côté.» Avant d'emprunter les ruelles montantes de la vieille cité, nous enfilons la rue Marengo. Halte devant l'immeuble où a vécu El-Hadj M'hamed El-Anka entre 1941 et 1959. C'est également ici qu'a résidé le célèbre acteur Roger Hanin. Et puis, à quelques mètres de là, notre guide nous indique une autre adresse «c'est là qu'est née Danielle Mitterand, l'épouse du défunt président français, François Mitterrand». Puis nous nous enfonçons dans les dédales et venelles qui grimpent. La rue Driss-Hamidouche (ex-rue de la Casbah) vient à notre rencontre. Bientôt, nous traversons la rue du diable : aâ'kibat e'chitane ! Pas de Lucifer dans le coin. Juste une rue unique en son genre, qui par sa forme rappelle celle d'un fer à cheval. «Je ne sais quelle mouche a piqué l'administration française, plaisante notre casbadji pure souche, pour avoir donné des noms d'animaux à plein de rues de la vieille citadelle : rue du Chameau, du Chien, du Tigre, du Lion, du Lézard, du Cygne... Il y a même une rue baptisée rue de l'Hydre… C'est une vraie jungle !»

Après avoir traversé Aâ'kibat e'chitane (la rue du diable), on arrive à une sorte de bloc cimenté. M. Mouloudj Zoubir, notre accompagnateur dans cette balade à la Casbah, explique que «cette pierre s'appelle Sidi M'zaâ'zaâ Rassou — la tête qui dodeline - et jusqu'aux années 1950, les gens venaient y allumer un cierge, faire une sadaqaet formuler un vœu». Passage ensuite par un endroit marqué du sceau de la Révolution.
C'est en effet dans cette rue que le moudjahid Abderahmane Arbadji a rendu l'âme en 1957, sous les balles des soldats français. Une plaque commémorative a été érigée sur place, en sa mémoire. A la croisée de deux venelles, se dresse une fontaine. L'une parmi les quelque 135 existant à la Casbah, d'après notre interlocuteur. Il s'agit de Aïn B'ir Chebanna. «A l'époque, il y avait un réservoir d'eau ( el khezzan) qui prenait sa source à partir de l'aqueduc de Aïn-Zeboudja (Télemly) alimentant les fontaines de la vieille médina ». La promenade continue à travers les ruelles étroites. Nous arrivons dans un quartier qui dans le temps était une sorte de noman's land. «C'est l'ancien katarougil comme l'appelait les Français, un mot inspiré de l'arabe quat'aâ r'djel (coupe la jambe). En fait, cet endroit était un peu mal famé. Il était risqué de s'y aventurer le soir. Beaucoup de gens s'y faisaient détrousser, d'où son nom», nous révèle El-Hadj Zoubir. La grimpette se poursuit. Bientôt nous atteignons la mosquée de Sidi Ramdane. «C'est l'une des plus anciennes de la Casbah. Elle est plus vieille que Djemaâ El-Kebir». La fontaine du même nom se trouve sur le prolongement de cette mosquée au joli minaret de forme carrée. Un peu plus loin, nous découvrons une autre fontaine : Aïn M'zawka (la fontaine colorée), l'une des plus célèbres de la vieille cité, selon notre guide. Au n°4 de la rue de Tombouctou, la maison où a vécu Hadj M'hamed El-Anka, enfant. En poursuivant notre balade, nous découvrons Bir- Djebah. Une plaque en marbre évoque le souvenir de quatre moudjahidine : Touati, Radi, Rahal et Bellamine, tous condamnés à mort par l'armée française et exécutés à la guillotine le 20 juin 1957, à l'aube, à la prison Barberousse. Nous amorçons la descente par la rue de Thebe, actuelle rue Boudries, où nous passons près de la demeure (n°9) appelée la maison de Sidi Amar. «C'est là où Amar El-Achaâb a poussé son premier cri. A l'époque, des waâdate y étaient régulièrement organisées», dira notre accompagnateur. La rue Boudries a payé un lourd tribut à la Révolution nationale. Le 10 août 1956, l'armée coloniale avait plastiqué le quartier, faisant 73 victimes. Une stèle rappelle aux passants ce douloureux événement.

Accompagnés par notre guide du jour, El-Hadj Zoubir, nous empruntons la rue N'fissa, là où se trouve le célèbre cimetière des Deux Princesses. Tous les «Casbadji» ont grandi, bercés par la légende de N'fissa et Fatma, les deux filles du Hassan Pacha, mortes à la fleur de l'âge à force d'avoir aimé le même prince. Dans le temps, ce cimetière n'avait pas de cloisons. Après avoir été saccagé durant la décennie noire (les années 1990), les riverains ont mis la main à la poche pour le restaurer.
Une sorte de mosquée ( massala) y a été aménagée. Un voisin veille sur les lieux. Il nous ouvre la porte de ce temple de légende et nous entraîne sur les traces des deux princesses. Sous les dalles, il nous montre l'emplacement exact où se trouvait la tombe de N'fissa. «Elle était à l'ombre d'un néflier et d'un figuier», nous révèle-t-il. «La horde intégriste l'a complètement détruite». Un peu plus loin, la deuxième tombe, celle de Fatma, la sœur de N'fissa a échappé au massacre. Tout en marbre, elle gît sous un jardin luxuriant empreint d'une sérénité troublante. A quelques mètres de là s'élève la qobba de Sidi Ben Ali. Continuant notre voyage dans le temps, nous déboulons à la rue de Staoueli : «Ici, il y avait une fontaine baptisée Aïn Laâtach (la fontaine de la soif)», indique El-Hadj Zoubir. Des anciens se souviennent également du café des sources appelé Hanout Manou. Ce dernier était l'un des fondateurs du MCA. La rue Bleue (actuellement Mustapha-Latrache) garde au fond de sa mémoire, un autre souvenir. «Ici se trouvait le cinéma Nedjma. Pendant la Révolution, des films western y étaient projetés. On montait sciemment le volume pour essayer les armes à feu sans éveiller les soupçons de l'ennemi. » Certains ruelles de La Casbah sont si étroites que deux personnes marchant côte à côte ne peuvent s'y aventurer. Nos pas nous mènent près de la rue du Nil (Mahfoud-Maâche), où se trouve l'une d'entre elles : z'neket aânekni (enlaces-moi). Nous traversons ensuite le quartier des ex-maisons closes. Pour ne pas créer la confusion ou un malheureux quiproquo, les propriétaires, dont les demeures étaient mitoyennes à ces maisons, apposaient une plaque sur laquelle on pouvait lire «ici, maison honnête». Direction ensuite vers la basse Casbah. A la rue Mecheri (ex-Emile- Maupas) se dresse le premier tribunal de première instance de la France coloniale (transformé aujourd'hui en dépôt). En face, se trouve l'ex-demeure de Mustapha Pacha, transformée en bibliothèque nationale et abritant actuellement le musée de la gravure et de la miniature : un magnifique palais mauresque à vous couper le souffle. En contrebas, hammam Sidna, l'un des premiers de La Casbah : «C'est là où Mustapha Pacha et ses amis venaient prendre leur bain», nous confie notre guide. Cerise sur le gâteau, cheikh Zoubir nous propose de nous faire visiter sa maison, pour clore cette balade. Dar El Mahroussa — c'est son nom — nous ouvre ses portes, et c'est comme si le temps s'était figé au XVIIe siècle. Dans un excellent état de conservation, cette magnifique demeure mauresque défie les siècles, portant en son sein tout un pan d'histoire, de patrimoine et de mémoire : wâast e'dr coiffé d'une verrière qui laisse filtrer la lumière du jour, les rihiye't à travers lesquelles l'air printanier s'invite, les chem'syette qui font les yeux doux au soleil… Meubles, dinanderie, zellidj, balustrades, tapis… aucune fausse note ne vient gâcher cette parfaite partition. Minzah, sorte de boudoir sous la terrasse, plafonds soutenus par des poutres en thuya, tomettes au sol, grenier ( beït el'aoula), bâa'touz (débarras)… un vrai musée au cœur de La Casbah. Le must du must, c'est la terrasse. Elle surplombe la baie d'Alger en regardant la mer droit dans les yeux, sans jamais se lasser de ce panorama féerique. La maison de Hadj Zoubir est souvent visitée par des visiteurs et même par des touristes, enchantés et émus de découvrir ce joyau architectural qui a traversé les siècles sans prendre une seule ride.


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