Algérie - Autres partis politiques

Algérie - Soufiane Djilali. Président de Jil Jadid «Au fond, les partis n’ont pas confiance en eux-mêmes»


Algérie - Soufiane Djilali. Président de Jil Jadid «Au fond, les partis n’ont pas confiance en eux-mêmes»




Le très médiatique président de Jil Jadid prédit «le désordre général» si rien ne change.

- Jil Jadid a décidé de ne pas prendre part aux prochaines législatives. Pourquoi?

Tout simplement parce qu’il s’agit peut-être de «législatives» mais en aucune façon d’«élections». Tout le monde sait que les résultats des législatives, comme ceux des présidentielles, sont fixés à l’avance au gré de ceux qui décident. Les partis du pouvoir auront la part du lion, d’autres, censés avoir une base, bénéficieront d’un minimum garanti. Quant au peuple, il sera absent de l’équation. Participer aux législatives, c’est accepter ces règles du jeu et ne plus pouvoir, moralement, dénoncer les fraudes.

- Pour certains, c’est la peur d’une défaite cinglante qui motive votre décision de boycott…

C’est une accusation qui n’a pas de sens. Jil Jadid n’avait pas la prétention de rafler une majorité de sièges pour avoir peur d’une défaite. C’est un jeune parti en construction, qui n’a que cinq ans d’âge. Honnêtement, je crois qu’il a déjà fait un bon parcours… Et ceux qui profèrent ce genre de propos, qu’ont-ils fait, eux, de leur base? Ont-ils un bilan à présenter depuis leur participation aux premières législatives de 1997? Non.

Notre position est sincère. L’Algérie est dans une situation peu enviable avec un horizon chargé de difficultés. Dans cette situation, notre motivation, ce n’est pas les élections mais un vrai changement ; c’est la construction d’un Etat de droit, c’est le rétablissement des valeurs... Si la question était une course aux sièges, cela ne m’intéresserait pas. Il faut remettre de l’ordre dans nos esprits. Le système algérien est bloqué, il a vieilli et il est incapable de se renouveler de façon efficace. Si l’opposition avait maintenu la pression, le régime aurait été obligé de céder.

Malgré le marasme actuel, l’Algérie a les moyens de s’en sortir. Il nous faut, en tant que classe politique, renouer avec le peuple grâce à des politiques claires et des positions de principe. Cela fait plus de deux ans que l’opposition réclame des garanties pour la tenue des élections.

En réponse, le pouvoir a démultiplié les provocations à son égard. Sa stratégie est simple: «Vous acceptez mes règles du jeu ou vous sortez du champ politique», nous dit-il.

Ce rapport de force est stérile. Le pouvoir nie la crise et nous met devant le fait accompli à sa convenance. Il a juste besoin de la résignation de l’opposition. Non, la solution passe par un véritable dialogue avec tout le monde, sur une base saine. Jil Jadid n’a pas peur d’une défaite et n’est pas radical. J’ai bien peur que ce soit le reste de l’opposition qui ait abdiqué.

- Quand le régime accuse à demi-mot l’opposition de n’avoir ni programme, ni militants, que lui répondez-vous?

C’est un faux argument que nos adversaires n’arrêtent pas de répéter pour essayer de nous complexer. D’abord, à part la référence passe-partout au «programme du Président» et malgré les budgets faramineux, y a-t-il un seul parti du pouvoir qui ait présenté un projet de société ou un programme cohérent?

Jil Jadid a rendu public, dès 2013, un programme gouvernemental. A l’heure actuelle, nous discutons notre projet de société pour le présenter lors de notre prochain congrès qui se tiendra début 2017. Par ailleurs, je viens de remettre à un éditeur un ouvrage de fond intitulé La Société algérienne, choc de la modernité, crise des valeurs et des croyances. J’y aborde les grandes questions de société sans tabou, tels l’identité, la société traditionnelle, l’islam, etc.

En même temps, nous menons un travail de formation d’envergure au sein du parti. Nous préparons des femmes et des hommes politiques compétents, qui pourront assumer leurs responsabilités à l’avenir. Voilà ce que nous faisons depuis cinq ans, sans appui ni subvention. C’est cela, notre objectif, et nous l’assumons comme un devoir envers notre pays.

- En claquant la porte de la CLTD, vous avez révélé la nature des liens entre certains partis politiques de l’opposition et le régime…

Franchement, je n’ai aucune information précise sur les liens entre mes ex-partenaires de la CLTD et le pouvoir, sinon ceux-là mêmes qui ont été rendus publics par les intéressés.

Le problème n’est pas le contact en soi, mais l’intention réelle qui les motives. Notre engagement commun autour du document de Zéralda était pragmatique et pouvait constituer une première étape pour amener le pouvoir à faire quelques concessions. Paradoxalement, alors que celui-ci faisait la sourde oreille à notre démarche, certains partis avaient commencé à parler de la possibilité de constituer un gouvernement d’union nationale après les législatives de 2017.

Si on se met dans cette posture, c’est qu’il y a quelque chose derrière. Ces partis venaient ainsi d’envoyer un signal clair au pouvoir: n’ayez aucune crainte, nous participerons quelles que soient vos conditions aux élections! Cela, je ne l’ai pas admis. Je l’ai clairement dénoncé lors des réunions de la CLTD et de l’ICSO.

Cette concession prématurée et improductive allait détruire le cœur de nos revendications et jeter le discrédit sur l’ensemble de l’opposition. On nous dit que la politique de la chaise vide ne donne rien. Mais qu’a donné la chaise «pleine»? Au fond, les partis n’ont pas confiance en eux-mêmes. Ils considèrent que le peuple est totalement indifférent à l’égard du politique et le pouvoir encore trop fort pour l’amener à des concessions.

- En proposant l’ancien membre d’Ennahda, Abdewahab Derbal, pour diriger l’Instance indépendante de surveillance des élections, le président Bouteflika ne piège-t-il pas les partis islamistes, s’assurant ainsi de leur participation aux élections?

M. Derbal sera dans la position d’un homme désigné et redevable comme un simple fonctionnaire. C’est un homme politiquement inféodé à M. Bouteflika. Il n’aura que le pouvoir que lui donne la nouvelle loi, c’est-à-dire, au final, rien pour assurer une régularité du scrutin. Le reste, ce n’est que de la poudre aux yeux. Nous avons affaire à un pouvoir tricheur dans l’âme. Il faudrait être naïf pour le croire sur parole!

Combien de fois le plus haut magistrat a t-il juré sur le Coran pour ensuite faire ce que bon lui semblait?

- Les graves accusations lancées par le secrétaire général du FLN contre des personnalités nationales sont-elles, à votre avis, symptomatiques de l’atomisation du centre de décision? La nature du pouvoir a-t-elle changé en Algérie?

Clairement, le pouvoir se dirige vers le mur. Les fondamentaux sont là: absence du chef de l’Etat, paralysie des appareils institutionnels, gouvernement chaotique, luttes d’appareils, sans compter les tensions géostratégiques et surtout la très mauvaise météo sur les marchés du pétrole! M. Saadani est un symptôme des convulsions du régime. Le pouvoir lui-même est le reflet de la désagrégation des structures de la société et de l’effondrement des valeurs.

Dans une telle phase historique de désarroi, de doute et de perte des repères, l’Algérie aurait dû avoir à sa tête un homme d’Etat présent continuellement sur la scène politique et offrant un modèle attractif pour ses concitoyens. Il faut polariser les sentiments et la raison des Algériens vers des modèles positifs. Malheureusement, les hommes au pouvoir envoient à la société une image très dégradée du sens des responsabilités et de la morale publique. Cela accélère la désintégration de la société.

Nous sommes face à une dégénérescence d’un pouvoir plutôt qu’à un changement de nature. Il est fondamentalement de la même nature mais très détérioré. De ce fait, il ne peut assumer son rôle et ne peut assurer les équilibres en son sein.

- Qui détient les clés du pouvoir?

A mon sens, plus personne en particulier. Le pouvoir s’exerce maintenant en dehors du cadre constitutionnel et selon les aléas du moment. J’imagine que chaque responsable doit se débrouiller comme il peut, à défaut de s’imposer face aux autres. C’est ce qui crée ce désordre et cette incohérence tant préjudiciables à l’Algérie.

- L’absence d’alternative politique peut-elle amener une nouvelle candidature du président Bouteflika en 2019?

Ce serait le comble! Mais bon, le blocage du système peut amener, par paralysie, à choisir le statu quo. Chacun voudra gagner du temps pour saisir la bonne occasion et rebondir après avoir usé ses adversaires. Un cinquième mandat signifierait en fait que l’Algérie aura été brisée.

Il ne faut pas se leurrer, nous sommes face à une alternative gravissime: la fin de ce système politique ou bien le désordre général! Il est vraiment urgent d’engager de vraies réformes politiques. Le pays n’a plus beaucoup de temps. La crise économique et sociale va être terrible. Il faudra rassembler toutes nos forces pour s’en sortir et relancer notre développement. Pour cela, il n’y a qu’une seule formule : organiser de vraies élections, avec un retour assumé à la légitimité populaire.

- Comment jugez-vous les dernières dispositions économiques annoncées par le gouvernement Sellal?

Le gouvernement navigue à vue. Je dois dire que la position de M. Sellal n’est pas très enviable. Il n’a en main aucun pouvoir constitutionnel sérieux, son autorité sur les hommes et sur les affaires du pays est très limitée et, en même temps, il doit affronter une crise sans précédent. La loi de finances qui est censée apporter les instruments de gestion de la crise est en décalage par rapport à la réalité et pleine de contradictions. Le pouvoir d’achat des citoyens est attaqué sur plusieurs fronts: dévaluation du dinar, inflation, resserrement du marché de l’emploi, diminution drastique des investissements de l’Etat.

En même temps, le gouvernement calcule ses entrées fiscales à travers l’augmentation de la TVA et des taxes douanières ou locales… sur la base d’un même niveau de consommation, donc d’importation! En réalité, la consommation va battre de l’aile et les entrées fiscales en pâtiront. Beaucoup de secteurs d’activité sont déjà en grande difficulté. Au même moment, les chiffres d’affaires des entreprises chutent lourdement. Les faillites vont se multiplier. La population va être soumise à une cure violente.

En même temps, l’Algérie, qui a mal négocié ses accords avec l’UE, est incapable d’attirer des investisseurs internationaux. Elle a dilapidé ses réserves de change et se dirige vers l’endettement. En réalité, cela fait des années que le gouvernement aurait dû engager le pays dans une autre voie. Ni les déboires des années 1980 ni ceux des années 1990 n’ont été suffisants pour faire changer de mentalité les dirigeants. Maintenant que la crise est là, nous allons boire la tasse.

- Certains partis politiques réclament l’élargissement de la liste des fonctions interdites aux binationaux. Etes-vous favorable à cette demande?

Le pays a besoin de tous ses enfants. Je comprends que pour certains postes sensibles, des précautions soient prises. Cependant, il nous faut récupérer notre intelligentsia qui fait parfois des merveilles ailleurs. Notre communauté à l’étranger est déjà suffisamment stigmatisée pour l’accabler encore ici.

Je suis sûr que si le pays réussit sa transition politique et qu’un Etat de droit se met en place, des centaines de milliers de cadres reviendraient au pays. Tout est à faire ici. Il faut faire confiance au peuple, mettre en place des règles claires et justes, l’aider à reprendre confiance et à aimer de nouveau sa patrie. D’immenses espaces sont libres, un potentiel énergétique fabuleux, des bras en attente… Il ne manque que la vision et la volonté politiques. 

Mesbah Salim



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