Cet acteur de l'ombre

Elles ont pu infiltrer les casernes et ont fait changer de camp à la peur.Le congrès de la Soummam et l'organisation des maquis qu'il a instituée ont permis l'émergence d'un rôle plus important de la femme algérienne dans la guerre d'indépendance. Toutefois, ce rôle deviendra vital en Kabylie suite à l'opération Jumelle qui a décimé les deux tiers des effectifs des moudjahidine comme l'a justement signalé Si Ouali Aït Ahmed dans l'entretien qu'il nous a accordé à l'occasion de la célébration de la journée du Moudjahid qui coïncide avec la tenue du congrès de la Soummam à Ifri.Malgré la superpuissance de l'armada militaire débarquée le 22 juillet 1959 à Tizi Ouzou dans le cadre de l'opération Jumelle, la guerre s'est poursuivie. Les massacres devenaient quotidiens.Des dizaines de villages radiés de la carte et des milliers de moudjahidine tombés au champ d'honneur. L'opération Jumelle était destinée à mettre fin à la guerre d'Algérie depuis la Kabylie, sauf que les stratèges français n'avaient pas pris en compte un détail mais qui va silencieusement bouleverser le rapport des forces. Il va même faire changer de camp à la peur. C'était l'entrée de la femme dans l'arène.Par des procédés ingénieux et des réseaux de renseignements acquis auprès de nombreux militaires français et algériens dans les casernes françaises, la femme obtient des renseignements précieux qu'elle transmet aux moudjahidine dispersés en petits groupes dans les maquis par l'effet de l'opération Jumelle. Si Ouali qui était au PC de la Wilaya III historique raconte comment l'intelligence de la femme a fait régner la peur au sein des rangs ennemis. La France faisait la guerre à la France. La caserne de l'armée française devenait l'ennemi de son pays et faisait peur au lieu de rassurer.D'autres femmes moudjahidate encore vivantes ont tenu à nous raconter des histoires qui renseignent sur ce génie qui a fait trembler la quatrième puissance militaire. Elles sont nombreuses.Elles sont dans tous les villages. Elles ont assuré le ravitaillement, le renseignement, elles ont tout donné à l'Algérie, leurs enfants, leurs maris, leurs pères, leurs frères et soeurs. Elles ont sacrifié même leur santé et leurs vies. Si Ouali parlait de l'institution des codes pour la communication entre les moudjahidine et les femmes. Pour signifier que le chemin est libre vers le village, les femmes disposaient pour sécher du linge blanc à l'extérieur des maisons. C'est un signe qu'elles ont eu des renseignements sur le programme des sorties des troupes militaires françaises.Des histoires à flots pour raconter le génie des femmes qui ont fait rentrer la guerre jusque dans les casernes françaises. Dans certaines situations, raconte Nna Feroudja, nous mettions l'argent collecté et les lettres destinés aux moudjahidine dans les «musettes» par lesquelles on cachait les mamelons de nos chèvres. Logiquement, ces derniers servaient à rationner le lait en empêchant les petits chevrons d'en abuser. «Et on voyait les soldats français éclater de rire en disant que ces Kabyles mettent des soutiens-gorge même à leurs chèvres. Ils étaient loin de deviner que même nos chèvres portaient les secrets de la guerre», racontait-elle. C'est la même histoire du génie de Nna Hdjila, une femme âgée qui a trouvé un moyen ingénieux pour transmettre le courrier et de l'argent aux moudjahidine. Sa fille racontait qu'elle marchait à l'aide d'une canne en roseau. Elle prenait un tison avec lequel elle trouait les noeuds du bâton de roseau et enroulait l'argent et les lettres avant de les enfiler dedans. Les moudjahidine connaissaient le lieu où elle changeait sa canne par une autre. Ils venaient juste récupérer le courrier et l'argent tranquillement. Les procédés ingénieux se comptaient par milliers. L'armée française avec ses moyens colossaux ne pouvait plus venir à bout de la hargne de ces femmes qui avaient tout perdu, sauf l'amour de leur pays et le devoir de poursuivre le combat aux côtés des moudjahidine. Elles ont pu infiltrer les casernes et ont fait changer de camp à la peur. Elles ont fait changer les rapports de force permettant ainsi aux moudjahidine de harceler les positions françaises.