Algérie - Ain Benian

Chez nous à Guyotville




Voici ressuscitée Guyotville, telle que tant d'Algérois l'on connue et aimée, sa plage de la Madrague au sable si doux, à l'eau si calme et si tiède, après la côte rocheuse aux fortes senteurs marines, sa forêt de Baïnem surplomblant la mer, les carrés de primeurs si bien ordonnés, méticuleusement toilettés en toutes saisons, les horizons lumineux du Plateau, la fébrile animation des expéditions de chasselas dès la fin de juin et en juillet (30.000 colis par jour) sans oublier le petit train littoral de jadis et le grand flambeau nocturne du phare du cap Caxine, l'un des plus hauts de France (64 mètres), dont les feux sont visibles à 100 kilomètres.
Comme si tout cela existait encore, le texte et les innombrables photos, un plan de la cité, une carte de la commune, reconstituent une présence émouvante, singulièrement vivante.
Il revenait au Docteur Georges Pélissier, arrière petit-fils de Mr Chazot, l'un des anciens proprétaires du Plateau, petit-fils de Jh. Pélissier, qui fut maire de la ville entre 1936 et 1941 puis entre 43 et 46, de mener à bien cette oeuvre difficile, la recherche des documents éparpillés par notre dispersion, puis la reconstruction de ces fragments avec tact et avec coeur.
Cette monographie est d'une portée très générale. Guyotville a été un exemple démonstratif des tâtonnements, des échecs et des réussites qui ont caractérisé des centaines de centres de population nés en Algérie pendant un siècle, aboutissant à des créations à la fois analoiues et originales.
Ici, au lieu-dit Ain-Bénian, où il n'y avait âme qui vive, avait été projetée l'implantation d'un village de pêcheurs. Et l'on apprend que le comte Eugène Guyot ne méritait guère de léguer son nom à la ville puisque le projet auquel il était hostile dut d'être poursuivi à la volonté tenace du maréchal Soult. Ce fut une injustice de la petite histoire, aggravée par le fait que son prénom lui aussi fut attribué à la commune limitrophe de Saint-Eugène.

Les imprévus constants de l'histoire algérienne firent que là où on attendait des pêcheurs, ce furent des agriculteurs qui vinrent : ils n'avaient rien des "gros colons" de la légende puisque leurs lots étaient initialement de 6 hectares ;plus tard, ils s' élevèrent jusqu' à 12! pionniersfrançais et espagnols en nombre égal, ils furent par la suite renforcés d'agriculteurs italiens ; tous attirés par la douceur d'un climat sans gel, ils introduisirent les primeurs et le chasselas précoce, épaulés par la puissante fondation voisine des Trappistes à Staoueli, fondée en 1843. Charles Pons en 1853 y importa les premiers plants et Patry-Gallaud en 1857 en diffusa le domaine autour de Guyotville.
Ce qui frappera surtout le lecteur ignorant jusque là de notre Algérie telle qu'elle fut c'est la vitalité ainsi que la cohésion de cette communauté humaine disparate à l'origine, rapidement fusionnée en un ensemble homogène aux qualités incontestables.

Groupés autour de leur clocher, nous voyons s'animer ces enfants nombreux dans les écoles des Soeurs et de l'Etat, ces adolescents robustes et sportifs, ces hommes et ces femmes actifs, paisibles, heureux ; nous revoyons la haute et belle stature du Docteur Le Rochais, métropolitain de l'Ouest, conquis par cette ambiance, qui fut pendant longtemps "le" médecin de Guyotville ; nous contemplons les multiples associations sportives et patriotiques, les sociétés de musique, le vaste stade; nous participons aux festivités et aux jours de peine jusqu'aux ultimes rassemblements des espoirs trompés.
En tournant les pages, on sent grandir et s'épanouir vigoureusement une ethnie européenne originale, française élargie, agglutinant l'apport des autochtones attirés par l'intense activité de ce vivifiant noyau et adoptés, incorporés jusque dans le conseil municipal de la ville.
Quelle tristesse que cette entité méritante ait été détruite ; mais aussi quelle fierté de pouvoir la montrer dans sa réalité à nos détracteurs tenus dans l'ignorance de ce que nous étions en vérité !
Combien il serait souhaitable que cette rétrospective soit vue et lue par de nombreux français métropolitains, qu'elle parvienne jusqu'à des bibliothèques publiques.
Et il est permis d'espérer qu'elle soit imitée par d'autres villes et villages de notre Algérie. Les Oranais, les Oraniens, si légitimement attachés à leurs origines, en ont déjà donné l'exemple, notamment dans "L'Echo de l'Oranie" sous la plume de François Rioland.
Mais, grâce à Guyotville, les Algérois ont compensé leur retard. Je ne connais pas d' étude plus complète en sa concision, plus éloquente en sa sobriété, un document plus probant pour ceux qui un jour, peut-être, entreprendraient de rétablir la vérité sur une histoire systématiquement dénaturée.

P. GOINARD.*
*Professeur de clinique chirurgicale à Alger puis à Lyon, ancien propriétaire au Plateau.



L'atmosphère humide d'Alger est accablante cet après-midi d'été ; pour beaucoup de lycéens, c'est le dernier jour de classe. Le long de la cabine des C.F.R.A., à l'ombre des ficus, face au café de Bordeaux, le car " direct " pour Guyotville stationne, déjà plein. La place du Gouvernement est une étuve. Seul, le Duc d'Orléans, qui caracole, semble défier la fournaise. Toutes vitres ouvertes, nous démarrons enfin : un souffle d'air rafraîchit la peau moite qui colle à la chemise. L'autobus contourne la place du Gouvernement, roulant vers la rue Bab-el-Oued, oblique vers la Pêcherie, à l'angle de la Mosquée et s'engage dans la large avenue du 8-Novembre, flanquée de ses grands immeubles modernes, à l'endroit même de l'ancien quartier de la Marine, autrefois si pittoresque avec ses vestiges de la basse Casbah.
Puis, c'est la rue Borély-la-Sapie, à l'angle de la caserne Pélissier. Laissant à droite l'esplanade qui domine les bains Padovani et Matarèse, le car s'engage vers le front de mer le boulevard Pitolet surplombe flots et rochers, doublé à gauche du boulevard Malakoff, un petit square hérissé d'aloès séparant les deux avenues.

Un virage à droite et le boulevard Pitolet côtoie l'hôpital Maillot, longé par le boulevard de Champagne qui grimpe vers la Bouzaréah (hôpital militaire construit sur les anciens jardins du Dey Hussein), puis le magasin général et la caserne de la Salpêtrière (ancien dar-el-baroud ou " maison de la poudre " construit en 1815 par le Dey). A cet endroit même, disparue aujourd'hui sous les arcades du boulevard Pitolet, coulait la source des génies, ou des sept fontaines : les négresses d'Alger venaient autrefois, le mercredi, y sacrifier des poulets.
C'est ici le quartier de la Consolation, à hauteur du fort des Anglais (bâti en 1850 par le corsaire Djaffar, futur pacha), sur une pointe rocheuse, nom donné en souvenir des canonnades échangées avec les vaisseaux anglais sous le dernier Dey Hussein ; ce quartier est devenu le siège de la colombophilie.
Le boulevard Pitolet s'est éloigné du front de mer et longe le stade Marcel-Cerdan, avant de surplomber à nouveau les falaises ; le car laisse à gauche les cimetières européen et israélite, dominés par le massif de la Bouzaréah, aux pentes abruptes en cet endroit, avec, tout en haut, le fort de Sidi-ben-Nour.
À la pointe des Deux-Chameaux, il pénôtre dans la commune de Saint-Eugène : jusqu'aux Deux-Moulins, la route surplombe les cabanons construits sur des pilotis scellés sur les escarpements rocheux que la mer frange d'écume et quelques petites plages de gravier, où l'on accède par des escaliers abrupts taillés dans le rocher ou des échelles de bois, plage des Deux-Chameaux, plage Balard, plage de l'Olivier, sports nautiques, parc aux huîtres.

Le car longe à gauche une rangée de maisons et villas entre le boulevard Pitolet et l'avenue Maréchal-Foch qui prolonge l'avenue Malakoff et, plus haut, des villas entourées de jardins, sur le versant adouci de la colline au sommet de laquelle la basilique Notre-Dame-d'Afrique, en contrebas de la Bouzaréah, domine de sa splendeur un merveilleux paysage, l'immensité de l'eau, bleu outre-mer, parsemée de longues traînées turquoise, le ciel éclatant de luminosité à l'azur estompé par l'humidité de l'air. Le soleil amorce sa descente à l'ouest, vers l'horizon, éblouissant le ruban de bitume aux luisances d'étain bruni qui se dévide à nos pieds et dévoile à chaque méandre un paysage nouveau.
L'agglomération de Saint-Eugène est ainsi franchie, : l'avenue Foch qui traverse le village a rejoint le boulevard Pitolet. Jusqu'à la pointe des Deux Moulins

Deux-Moulins, deux kilomètres plus loin, le rivage devient encore plus dentelé, hérissé de rochers bruns, tandis qu'à gauche, les pentes bistres du massif de la Bouzaréah se rapprochent à nouveau, profondément ravinées, recouvertes d'une maigre végétation. Les villas de bord de mer deviennent plus élégantes.


Après la Vigie, le Casino de la Corniche apparaît, surplombant la mer ; de l'autre côté, le contrefort abrupt de la Bouzaréah a dû être entaillé pour ouvrir le passage dans le grand virage qui amorce la descente vers la Pointe-Pescade, entre la Réserve et la cimenterie Lafarge. En contrebas, face à la mer, la villa Xuéreb où vécut Camille Saint-Saëns.

Le massif de la Bouzaréah s'est un peu éloigné de la falaise de bord de mer, raviné de sentiers sinueux ; il était autrefois parsemé d'anciennes fortifications turques, Bord mersel-debban, fort d'Hussein, Topanet mers-el-debban... seul ce fort ayant subsisté, occupé par la Douane.
Le car traverse le village de la Pointe-Pescade, adossé à la montagne, bâti en losanges concentriques autour de la place du 14-Juillet ; du côté mer, après le cap de la Réserve, à l'ouest de la falaise, une plage arrondie, les bains Franco, dite Mers-el-debban ou " port aux mouches ", était autrefois le refuge des pirates.
À partir de la Pointe, à 7,5 kilomètres d'Alger, le climat change brusquement ; dans le car, chacun éprouve les bienfaits d'une première bouffée d'air frais et la ville nous semble déjà bien loin. Au-delà, les maisons de campagne se raréfient, la route serpente entre la mer et les pentes du Sahel, avec quelques cultures.
Après la carrière de pierres de Miramas, 500 mètres plus loin, le car fonce vers les Bains-Romains et son premier arrêt. Deux kilomètres au-delà, voici Baïnem-Falaise, dominée par la tache verte de la forêt de Baïnem : une petite route y grimpe, bordée de belles villas, qui rejoint Alger à travers bois, par la Bouzaréah et El-Biar.
Deux cents mètres après cet arrêt, la chaussée franchit un petit oued, non loin du Palmarium, qui délimite les communes de Guyotville et de Saint-Eugène.
Et c'est le cap Caxine et son phare, au bout d'une longue allée toute droite, qui domine la mer du haut de ses 64 mètres portant à 65 milles, il guide les bateaux venant d'Espagne et du Maroc.
La vigne fait son apparition sur les coteaux en contrebas de la forêt. Un peu plus loin, c'est l'arrêt de Saint-Cloud, avec ses villas de bord de mer, ses falaises de calcaire bleu.
Dans un dernier assaut avant le Sahel, la Bouzaréah projette vers la Méditerranée le massif du Grand Rocher : comme celui de la Pointe-Pescade, il obstruait autrefois le passage, sauf un étroit chemin muletier. Un tunnel le traversait, pour l'ancien petit train ; aujourd'hui, l'éperon rocheux dynamité laisse place à la route.
Guyotville apparaît alors au bout de la longue ligne droite qui longe la dentelle sombre des rochers de bord de mer, le car laissant à gauche le cimetière ; puis c'est l'entrée du village, la gare, la Makanghia, les écoles et enfin l'arrêt face au monument aux morts, avant les stations de la place Marguerite et des Docks.
Et chacun ressent le bonheur de la paix retrouvée, loin du tumulte de la capitale. Car, dans ce village qui nous a vus naître, où nous sommes allés ensemble à l'école, à l'église, au cercle, au stade..., où toute boutique nous est familière, où tout habitant nous est connu, où tout paysage est enchanteur, du bord de mer au plateau, de la forêt à la Madrague, où le climat est d'une incomparable douceur, nous nous sentons véritablement , chez nous, heureux, enracinés au plus profond de notre être. Comme n'importe quel petit village de France, nous avons l'impression que Guyotville, qui a bercé l'existence de nos parents, de nos grands-parents, a toujours existé

Et pourtant, lorsque sous les ordres du Maréchal de Bourmont, ministre de la Guerre du Roi Charles X, les troupes françaises débarquaient à Sidi-Ferruch, le 14 juin 1830, notre cher village n'existait pas : il sera construit de toute pièce dans le sang et la sueur, le travail acharné, les fièvres, le désespoir des colons implantés, contre toute apparente logique, sur un site des plus ingrats.
Aucune population sur le territoire de la future commune, entre le massif aride de la Bouzaréah aux broussailles brûlées par le soleil, les rochers déchiquetés battus par les vagues soulevées par les vents violents de nord-ouest, sans abri naturel, et les marais pestilentiels de la future Trappe, sinon, dans le ravin de l'oued Beni-Messous, à la limite avec l'actuelle commune de Chéragas, une tribu de 300 âmes vivant de l'élevage.
C'est un plateau aride, apparemment infertile, couvert de broussailles, de lentisques, chênes-kermes, arbousiers et palmiers nains, qui s'incline à partir des escarpements du mont chauve de la Bouzaréah culminant à 407 mètres, en pente douce vers l'Ouest, " le plateau ", dont l'altitude oscille entre cent et deux cents mètres, en versant plus abrupt vers le bord de mer, à partir du Grand Rocher, dominant la mer d'une quinzaine de mètres, mais s'estompant progressivement vers I'llôt, avec un dernier rehaussement à la Ras-Acrata.
L'accès n'est possible que par El-Biar, Dély-Ibrahim et Chéragas, par un sentier à peine tracé, accidenté de fondrières. Toute communication est impossible avec Alger par le bord de mer, les dernières villas d'avant la conquête se blotissant derrière l'éperon rocheux de la Pointe-Pescade, le Grand-Rocher formant un deuxième barrage infranchissable.
Entre le ravin de l'oued Béni-Messous descendant de la Bouzaréah jusqu'aux dunes (qui délimitera plus tard la commune) et le bord de mer, pas un arbre, pas une source visible, pour les premiers explorateurs.
Cependant, l'allure désertique de la région n'est qu'apparence : les recherches archéologiques démontrent que l'endroit est connu et habité depuis des temps immémoriaux.
Les dolmens de Béni-Messous, découverts en 1840, par Berbrugger, sur la rive droite de l'oued, en sont une preuve. Ces dolmens, dont on estimait que le nombre primitif excédait 250, ont vu leur nombre diminuer par leur destruction progressive : trente debouts en 1870, une vingtaine en 1927. En 1953 vingt-trois dolmens, entiers ou en ruines, sont relevés par Gabriel CAMPS, dont 22 sur la rive droite de l'Oued, propriété de Mr SAUNE, puis KUSTER, EBERT enfin, et un seulement sur la rive gauche, dite d'EL'KALAA, sur la Commune de CHERAGAS. La nécropole n'a été fouillée que cinq fois, par le Dr BERTHERAND en 1868, Mr KUSTER vers 1883, Mr GOUX (1899-1904), le Dr MARCHAND (1931), Gabriel CAMPS enfin en 1953.

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Monuments mégalithiques, ces dolmens ont la double particularité, par rapport à leurs homologues bretons, d'être des sépultures encore riches de leur contenu et d'avoir une taille moins imposante. Ce sont " des cases rectangulaires, longues de 2 mètres en moyenne, larges de 1 mètre, formées de quatre pierres brutes plantées verticalement mesurant 1,20 à 1,50 mètre de haut. La dalle de couverture dépasse rarement 2,20 mètres de longueur ". Chaque case funéraire contient 5 à 8 ossements d'individus d'âge et de sexe différents, " aux crânes dolichocéphales longs et étroits identiques à ceux des Berbères de nos jours " (Dr Kobelt). Outre ces ossements, de nombreux objets, poteries en terre cuite, cruches et écuelles à dessins géométriques comparables à ceux des objets que fabriquent les Berbères de nos jours, des bronzes (bracelets, fibules, bagues), des flèches et pointes de silex, des hâches polies, tous objets transférés au musée du Bardo à Alger, ainsi d'ailleurs qu'un dolmen offert par M. Ebert. En outre, la découverte d'une lampe punique (laentlque a celles trouvées dans la nécropole Sainte-Monique à Carthage) et d'une fibule, dite campanienne (comparable à celles rencontrées en Italie), fait penser à Gsell que ces deux objets, importés par des commerçants carthaginois, pourrait faire remonter l'âge des dolmens à seulement trois siècles avant notre ère.

Gabriel CAMPS émet une autre hypothèse, à la suite de l'étude des trops rares vestiges des fouilles effectuées : cette nécropole pourrait être bien antérieure aux établissements puniques. C'est peut- être vers l'Ouest, du côté du Maroc, où est démontrée l'existence d'une civilisation du bronze bien antérieure au 3ème siècle avant J.C, et non vers l'Est, du côté des colonies phéniciennes qu'il faut chercher l'origine des bronzes de Béni-Messous ; la similitude avec certaines céramiques marocaines et ibériques corroborerait cette hypothèse

Mis à part les dolmens, toute une série de grottes témoigne de l'existence d'une population troglodyte fort ancienne
grottes de la Pointe-Pescade, au-dessus du " port au mouches ", découvertes en 1868, en ouvrant la carrière Melcion et en creusant le tunnel pour le passage de la ligne de chemin de fer,
grotte des Bains-Romains, découverte en 1900 en exo ploitant une carrière,
grotte du Cap-Caxine (Dr Bertherand en 1869) avec 3( à 40 squelettes aux crânes de type berbère,
grotte du Grand-Rocher, découverte en 1869 par IE Dr Bourjot : on y pénétrait par un couloir de hauteur d'homme donnant dans une salle d'environ 20 mètres sur 4 à 5 mètres un soupirail naturel l'éclairant au zénith. Les parois sont de calcaire, le sol de sable. Pour visiter cette grotte, il fallait prendre la clef au petit café du Cap-Caxine, à l'angle de l'allée menant au phare,
grottes des carrières Anglade et Sintès, à 500 mètres l'est du village.
Toutes ces grottes contiennent des ossements de type berbère, en général mêlés à des ossements animaux divers rhinocéros, zèbres, phacocères, antilopes, gazelles, cerfs, hyènes, panthères, ours, chacals, moufflons, ânes et chevaux, ains que des rongeurs, des reptiles, des oiseaux, faune tout à la fois paléo et néolithique et contemporaine. Elles décèlent aussi des hâches polies, des silex taillés, des grattoirs de silex, des aiguilles et poinçons en os, des fragments de poteries à dessins en losanges et chevrons.
Enfin, de nombreux vestiges de la civilisation latine persistent dans les limites actuelles de la commune
au Ras-Djerba (ou cap Caxine) : ruines étendues de murs et de citernes,
à Aïn-Bénian, sur la route est de Chéragas : source retenue dans un bassin et vestiges de quelques maisons l'entourant,
au Ras-el-Conater (cap des arcades en arabe, déformé en Ras-Acrata) : vestiges des arcades d'un aqueduc, puits et citernes, quelques tombeaux, quelques grosses pierres taillées
Ainsi, malgré les apparences, il est admis aujourd'hui que Guyotville et ses environs sont parmi les régions les plus anciennement peuplées de l'Algérie et, sans doute, d'une façon presque ininterrompue.

Le Maréchal Soult, vainqueur d'Austerlitz, Duc de Dalmatie et Pair de France, alors ministre de la Guerre, adresse, le 28 janvier 1843, au Comte Guyot, directeur civil de l'intérieur à Alger (de 1839 à 1847) des instructions formelles pour faire explorer le Sahel, d'Alger à Sidi-Ferruch. Son but est d'y faire construire deux villages de pêcheurs et d'ouvrir une route littorale, décision prise sur le vu de rapports concernant la pêche en Algérie : il lui faut briser le monopole que s'était octroyé les pêcheurs italiens et maltais en plusieurs points de la côte.
lLe rapport du Comte Guyot, le 10 juin 1844, est on ne peut plus défavorable : il déconseille au Maréchal de poursuivre cette initiative. Une première fois, Guyotville semble ne pas devoir naître.
lMais Soult persévère et demande à Guyot de continuer ses investigations. Deux sources à bon débit sont découvertes dans la région d'Aïn-Bénian déjà citée, c'est-à-dire " source des constructions " (romaines anciennes).
lGuyotville doit donc être érigé en contrebas, près du rivage. Simultanément, la création d'un deuxième village de pêcheurs est décidée à Sidi-Ferruch.
lGuyot, tenant compte de l'échec des colonies militaires établies par Bugeaud, conçoit la création de colonies civiles confiées à des entrepreneurs auxquels l'État accorde une grande concession et des avantages financiers. M. Gouin est choisi pour Sidi-Ferruch. M. Tardis, capitaine de la Marine Marchande, ancien directeur d'une entreprise de pêche au bassin d'Arcachon, pose sa candidature pour Aïn-Bénian, le 18 février 1845. lAprès instruction de la demande par le Comte Guyot et avis favorable du Conseil d'administration, le 22 mars 1845, l'arrêté de création du village d'Aïn-Bénian est signé par le Maréchal Bugeaud, Duc d'Isly, alors gouverneur de l'Algérie, le 19 avril 1845.
lDeux cents hectares sont alloués au sieur Tardis entre le Cap-Caxine et la Ras-Acrata, se situant sur le site du village actuel et ses environs immédiats. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .M. Tardis s'engage à construire vingt maisons en maçonnerie, couvertes en tuiles, avec au moins deux pièces principales ; 50 ares doivent être allouées pour la culture, à chaque colon. Il reçoit 800 francs par maison et 2.400 francs pour sa demeure personnelle et s'engage à terminer les travaux fin 1846. En outre, disposant d'une subvention de 6.000 francs, il doit construire un débarcadère en bois pour hisser les bateaux à terre, deux corps-morts pour les amarrer, un parc à huîtres, un atelier de préparation des sardines et une sécherieà poissons ; une prime de 100 francs est accordée pour une embarcation de deux à quatre hommes et 200 francs pour toute embarcation supérieure.
lPlusieurs mois s'écoulent, mais l'orientation défavorable de la côte, sans crique valable, la concurrence des barques étrangères, la mauvaise situation sanitaire, la mauvaise foi du concessionnaire enfin, ruinent la tentative.
lPour la seconde fois, Guyotville semble ne devoir pas exister.
lLorsque deux inspecteurs de la colonisation se rendirent à Aïn-Bénian pour vérifier l'état des travaux, M. Darru, le 31 juillet 1846, et M. Pétrus-Borel, le 20 octobre 1846, les constats furent stupéfiants : 20 cabanons distants d'une vingtaine de mètres, formant les trois-quarts d'un carré, en pierres scellées par de la terre, non carrelés, sans dépendances, avec une seule pièce, menacent déjà ruine ; les terrains attenants ne sont pas défrichés. http://perso.wanadoo.fr/ bernard. venis. Par contre, au sommet du plateau, près des deux sources, M. Tardis s'est fait construire une coquette maison de style provençal, entourée de mûriers, que les paysans appelleront " le château ". Il n'y a pratiquement plus trace de constructions maritimes, la mer ayant tout emporté. Deux colonies, semble-t-il, se sont succédées, dévastées par la maladie qui tue et le désespoir qui fait fuir, certains ayant été employés à la carrière du Grand-Rocher, à 500 mètres de là.
lLes Inspecteurs de colonisation ne trouvent plus que cinq colons vivant misérablement du produit de la vente de charbon, fabriqué avec des souches arrachées et transportées à Chéragas. Des militaires, conduits peu avant pour s'y établir, ont refusé en raison " du manque d'eau, de la mauvaise qualité du terrain, de la mauvaise construction des maisons et de leur insalubrité ", ainsi qu'en témoigne un rapport du capitaine Lambertin à son supérieur.
lLes deux rapports des Inspecteurs, transmis par le Maréchal Bugeaud, ne parviennent qu'en avril 1847 au Maréchal Soult : le Comte Guyot a attendu décembre 1846 pour faire dresser procès-verbal de la situation, et a remis tardivement le dossier à Bugeaud. Dans sa réponse du 10 avril 1847 au Duc d'Isly, Soult exprime son mécontentement et demande l'éviction rapide de M. Tardis. Il prend l'importante décision de modifier les conditions d'existence des colons en implantant dans Aïn-Bénian des familles agricoles. Dans la même lettre, il dit toute sa satisfaction de l'activité de M. Gouin, qui a parfaitement réussi à Sidi-Ferruch.
lPourquoi le Comte Guyot a tant tardé à transmettre les rapports des deux inspecteurs? Il semble avoir été tenu par la reconnaissance, le conduisant à ménager M. Tardis : deux jours après l'arrêté de création, M. Tardis avait adressé au Comte Eugène Guyot une demande visant à donner le nom de Guyot-Ville au premier village maritime algérien. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.venis. Le même souhait ayant été formulé par des propriétaires terriens demeurant avant la Pointe-Pescade, Guyot proposa son nom pour AïnBénian et son prénom pour ce qui allait devenir Saint-Eugène. Le Comte Guyot transmit cette requête au Maréchal Soult qui, par décision du 4 août 1845, avait notifié la réglementation des noms à attribuer aux villages d'Algérie.
lLe Maréchal avait donné un avis favorable ; mais, à son départ du ministère de la Guerre, il fut remplacé par le Lieutenant-Général Moline de. Saint-Yon, qui opposa son refus dans une missive au Maréchal Bugeaud, dure pour le Comte Guyot, qui en ressentit l'affront.
Mais, en 1856, onze années plus tard, Aïn-Bénian prendra officiellement le nom de Guyotville en même temps qu'il quittera la tutelle de la commune de Dély-lbrahim, pour être annexé à la commune de Chéragas.
M. Tardis, déchu par décision du 26 décembre 1846, conserve sa maison et 30 hectares : les maisonnettes et terrains d'Aïn-Bénian reviennent à l'État et, conformément aux directives du Maréchal Soult, l'administration substitue au village de pêcheurs un village d'agriculteurs. Vingt familles sont installées, six hectares distribués par colon. L'arrêté ministériel du 16 septembre 1847 octroie des primes de défrichement, une fois les travaux exécutés.
Cependant, Guyotville va végéter pendant cinq années, par manque d'eau, défaut d'accès pratique vers Chéragas : en 1852, dans l'entourage du nouveau Préfet, M. Lautour-Mézeray, la question se pose d'abandonner Guyotville.
Pour la troisième fois, le village semble devoir être rayé de la carte.


C'est Lautour-Mézeray qui va sauver Guyotville avec une série d'importantes mesures.
Il visite les colons en 1852 et promet de payer la prime de défrichement à raison de 50 francs l'hectare ; une première liste de subventionnés est insérée sur un arrêté préfectoral du 29 janvier 1853, dont Jean Calvet, futur maire de Guyotville, Honoré Mercurin, maire de Chéragas, Margueritte...
2. Six hectares sont ajoutés aux six déjà concédés.
3. De nombreuses fermes isolées sont distribuées sur le plateau et sur la côte, l'habitation devant être construite sur la concession : 31 fermes sont créées dans la campagne du plateau, sur 569 hectares et 8 fermes au bord de la mer, sur 120 hectares. http://perso.wanadoo.fr /bernard. venis. Les mêmes avantages sont offerts aux nationaux et aux étrangers : sur 73 concessionnaires, 53 Français, 19 Espagnols et 1 indigène. Les candidats à la concession doivent pouvoir démontrer leur capacité d'agriculteur et prouver qu'ils sont en mesure d'affecter à cette concession la somme de 400 francs par hectare. La commission de répartition, composée de MM. Tapin, chef du 2è Bureau de la Préfecture ; Toupé, chef du service topographique ; Pélissier, inspecteur de colonisation ; Roubière, vérificateur des domaines, et Romain, géomètre, réserve une carrière et une bande de terre, impropre à la culture, qui doit être affectée plus tard à la création du chemin littoral projeté d'Alger à Cherchel..
4. Le Préfet fait ouvrir une voie de communication bien tracée, empierrée, vers Chéragas et y fait aboutir les chemins particuliers conduisant aux concessions.
5. L'aménagement de la source d'Aïn-Bénian et sa retenue dans un grand bassin est entreprise.
6. Pour régulariser le régime hydrographique, une décision ministérielle du 20 août 1852 crée une importante réserve forestière de 339 hectares. Le service forestier, avec une main-d'œuvre militaire, commence la plantation de la forêt de Baïnem, dont beaucoup d'arbres, pins, eucalyptus, casuarinas datent de cette époque.
Notons à ce propos que le premier maire, M. Calvet, demandera, le 2 novembre 1879, l'abrogation de ce décret, sans l'obtenir, alléguant la fréquence des incendies de broussailles dont quelques-uns faillirent détruire le village, et le fait que " cette réserve est un refuge pour les bêtes fauves, chacals, hyènes, sangliers et porc-épies dévastant les récoltes ".
Les fruits de ces mesures de sauvetage ne tardent pas. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.venis En 1853, de retour d'une tournée d'inspection à Chéragas et Guyotville, M. Lautour-Mézeray écrit au ministre " à l'aide des primes accordées pour le défrichement, tous les colons, encouragés déjà par les les efforts de l'administration, ont pu donner du pain à leur famille et reprendre l'énergie qui les avait abandonnés. Je n'ai vu nulle part de gens plus contents, plus travailleurs et surtout plus reconnaissants ".
En 1856, 321 hectares sont ensemencés, dont 120 hectares de blé tendre, 9 hectares d'orge, 6 hectares de maïs, 96 hectares de légumes, 25 hectares de pommes de terre. On essaye la culture du tabac, l'élevage et, de bonne heure, on plante de la vigne à vin, qui réussit fort bien.
En 1859, Guyotville est érigé en paroisse et placé sous le patronage de saint Roch. A Pâques, une jeune prêtre, l'abbé Vuillot, qui avait déjà visité les colons, inaugure officiellement le culte dans la nouvelle paroisse, dans un hangar, sur l'établi du menuisier. Après quelques mois, une salle plus convenable sera aménagée dans la maison de M. Berthier.
L'abbé Vuillot s'adresse alors à la providence du diocèse, les Trappistes de Staouéli, vaillants pionniers de la colonisation française : une parenthèse mérite d'être ouverte ici sur la Trappe.
Créée par arrêté ministériel du 11 juillet 1843, sur les instances de la Reine Amélie-Thérèse de Bourbon Siciles épouse du Roi Louis-Philippe 1er, la Trappe fut bâtie sur l'emplacement d'une villa romaine, au milieu des champs de bataille de 1830, sur 500 hectares, puis rapidement 1.120 hectares ; les Trappistes venaient de Lombardie. Inaugurée le 30 août 1845, érigée en abbaye par le Pape Grégoire XVI, le 1 juillet 1845, le Père prieur Dom François Régis y porta la 1ère première mitre. Le rôle de ces moines fut capital dans la région ; les 120 pères et 250 ouvriers agricoles assainirent cette région marécageuse par la plantation d'eucalyptus, défrichèrent des centaines d'hectares de bonne terre ; beaucoup y périrent du paludisme. Renouant avec la tradition agricole de l'Algérie romaine, la culture de la vigne à vin sur une grande échelle, mais aussi du chasselas, pour la première fois sur le Sahel, en fit une région riche. Mais les Trappistes durent quitter le domaine en 1904, victimes des lois de Waldeck et de Combes, spoliant les congrégations, de 1901 à 1904. M. Jules Borgeaud (dont le père, Georges-Henri Borgeaud était arrivé en Algérie venant de Suisse, à l'âge de 66 ans), allié par sa femme à une famille catholique influente d'Alger, put acquérir le domaine pour la somme modeste de 15.000 francs. Puis, la Trappe revint à son frère Lucien Borgeaud et, par héritage, à Henri Borgeaud.
Comme Chéragas, Staouéli, Zéralda, Guyotville doit à l'inépuisable charité des Pères Trappistes la jolie petite église dont la flèche domine le village. Le 3 mai 1874 eut lieu le baptême des deux cloches, en présence de Monseigneur Lavigerie, Archevêque d'Alger.
C'est le même Père Vuillot qui, mort en 1899 (enterré soue les dalles de la petite chapelle), après quarante années de sacerdoce, préside à la fondation de l'école libre Saint-Joseph en 1884.

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En 1874, vingt années se sont écoulées depuis les premières tentatives de création du village maritime d'Aïn-Béniar création dans laquelle la détermination du Maréchal Soult d'abord, du Préfet Lautour-Mézeray ensuite, a eu un rôle prépondérant.
De nombreuses pétitions de colons demandant la création d'une commune, indépendante de Chéragas, vont aboutir : le 28 novembre 1874, un décret du Général Chanzy érige Guyoville en commune de plein exercice.
Le Conseil municipal sera composé de neuf membre; dont sept Français, et Antoine Calvet sera le premier maire. La superficie de la commune est fixée à 1.725 hectares. Mais Guyotville demeurera toujours sous la dépendance juridique de Chéragas, chef-lieu de canton, et les Guyotvillois devront se rendre à la justice de paix à Chéragas.

En 1876, le village est peuplé de 595 habitants, dont 249 Français et 337 Espagnols, population laborieuse, à la vie rude.
En 1901, vingt-cinq ans plus tard, Guyotville atteindra 2.821 âmes : le petit hameau d'apparence chétive, pauvre en habitants est devenu une riche bourgade, coquette, heureuse, populeuse. Quel miracle est intervenu entre temps?
L'introduction du chasselas de Fontainebleau sur le Sahel ouest d'Alger est une innovation capitale pour l'essor du village.
Un vigneron d'origine provençale, Charles Pons, en rapporte quelques milliers de boutures en 1853 pour les planter à la Trappe de Staouéli. Le succès de cette plantation dépasse les limites du domaine et en 1857, M. Louis Patry-Gallaud, originaire de l'Hérault, en apporte des quantités massives ; il semble que MM. Berthier et Bernard aient aussi largement contribué à ces plantations.

Le succès est grand en raison de la précocité du chasselas, mûr dès le 25 juin à Guyotville et négociable avec Alger à des prix intéressants.

En 1875, les vignobles s'étendent du Cap-Caxine à Zéralda, mais, grâce à de minutieuses sélections et au climat exceptionnel, le chasselas de Guyotville conquiert la première place.

En 1876, les initiatives de MM. Gros et Tartarin, qui organisent les premières exportations vers la métropole, assurent des débouchés très rémunérateurs. C'est l'engouement chez les colons qui poursuivent la plantation du chasselas et greffent les anciennes vignes (à l'exclusion des vignobles de l'est du plateau, plus près du massif de la Bouzaréah, où le sol peu meuble se prête mal à la culture du raisin de table).

En 1948, le village comptera 640 hectares de chasselas fournissant 19.350 quintaux de raisin de table et 215 hectares de vignes à vin, produisant 4.590 hectolitres.

Simultanément, la culture maraîchère de primeurs se développe, couvrant 400 hectares ; le produit en sera aussi largement exporté vers la métropole. à la culture printanière, pratiquée par habitude, comme en métropole, les colons, sous l'impulsion des Espagnols, ont subsitué la culture automnale dès les premières pluies de septembre, et la culture d'hiver possible en l'absence de gelées. Souvent, ces légumes plantés entre les rangées de vigne et la terre, constamment retournée et fumée, ne s'épuise pas ; elle fournit ainsi jusqu'à trois récoltes par an :
la tomate P.L.M. en premier lieu est récoltée en deux saisons d'automne et de printemps,
la pomme de terre en deux saisons aussi, grenadine d'hiver et étoile de Léon de printemps,
les carottes, les haricots verts, les petits pois, les courgettes, les aubergines, sont de même l'objet d'importantes expéditions.

La culture fruitière prend aussi quelque expansion : hectares plantés en orangers, mandariniers, citronniers, néfliers amandiers et figuiers.

Le développement de ces cultures est à l'origine d'un phénomène social important, l'afflux des indigènes travaillant aux champs, fixant ces ouvriers à la terre ou les faisant descendre périodiquement des montagnes vers le Sahel

Cette digression s'impose ici, pour expliquer la précocité et la qualité des primeurs de Guyotville, qui ont fait la fortune du lieu.

1) LES CONDITIONS CLIMATIQUES

Douceur et régularité caractérisent ce climat. Guyotville est privilégié par son exposition à l'ouest, au pied de la Bouzaréah, face aux vents attiédissants de l'occident qui soufflent en hiver, abrité de ceux du sud, si étouffants pendant l'été. Les différences thermiques sont sensibles avec la capitale toute proche : un degré de plus qu'à Alger durant l'hiver et un degré de moins l'été. Seul août fait exception, à cause des vents d'est qui atteignent directement Alger, tandis qu'ils sont relevés au-dessus du village par le contrefort de la Bouzaréah et du Grand-Rocher.

Les variations journalières sont bien plus limitées qu'à Alger ou n'importe quelle station du littoral. Au moment où la vigne débourre, fleurit et mûrit, ces variations sont particulièrement faibles et d'une étonnante régularité ; seulement 4/10è de degré de variation diurne entre février et juin, pour 3 degrés de différence à Alger.

Enfin, dernier facteur climatique qui influe directement sur la précocité de la végétation, la température minima : elle est en moyenne de 6°9 à l'extrême 4°, donc sans gelée possible, tandis qu'à Alger la minima moyenne est de 4°2 et parfois le thermomètre descend sous zéro.

Cette absence de gel, si remarquable, résulte de la saturation de l'air en humidité, sur une côte exposée à l'ouest, que les vents de terre n'atteignent pas, tandis qu'à l'est, Alger reçoit les vents soufflant de la Mitidja et descendant des sommets de l'Atlas.

Très favorisée par la température, cette région l'est moins par les pluies : mais l'humidité excessive est néfaste pour la vigne, vectrice de maladies, oïdium et mildiou, et les pluies -trop fréquentes nuisent à la fructification, par la coulure qu'elles entraînent.

Deux inconvénients climatiques cependant, la violence et la fréquence des vents de mer, surtout au printemps, la possibilité de chutes de grêle. Pour préserver les ceps qui bourgeonnent en mars, alors que les vents du nord-ouest soufflent souvent avec furie, les colons ont dû protéger les plantations par des haies vives de roseaux et de cyprès et surtout des brise-vent en roseaux secs, abris parallèles orientés nord-sud, tous les quatre à six rangs de vigne, donnant au plateau cet aspect strié si particulier. Ces abris emmagasinent en outre la chaleur propice à la maturité, tout en permettant la circulation de l'air.

Contre les chutes de grêle, les tirs de canon ne sont pas toujours efficaces, mais le versant ouest de la Bouzaréah n'est pas le plus exposé et les chutes surviennent l'hiver, par là moins dangereuses pour la vigne.

2) LES CONDITIONS GÉOGRAPHIQUE

Si le climat du village est favorable à la culture de la vigne et des primeurs, la nature du sol s'y prête tout autant.
Un bref rappel géologique l'explique.
Trois époques sont représentées sur le territoire de la commune : les âges primaire, tertiaire et quaternaire.

L'AGE PRIMAIRE :
Gneiss et micaschistes composent le massif de la Bouzaréah. Imperméables, peu propres à la culture, ces roches constituent l'essentiel de la forêt de Baïnem et une partie est du plateau : elles forment le sous-sol profond de la commune, d'autant plus profond que l'on s'éloigne vers l'ouest, affleurant la mer au niveau des rochers du littoral. Leur couleur bistre ou grisâtre dépend de la couleur du mica qui les compose.
D'origine primaire aussi, le calcaire bleu, en trois ceintures fragmentées entoure le massif de la Bouzaréah : près du sommet, à mi-pente, et en bas, au bord de mer. Ces calcaires bleus, plus résistants que les schistes, érigent leurs arêtes saillantes au-dessus des roches environnantes : ce sont eux que l'on retrouve au Grand-Rocher, sur le littoral de Saint-Cloud, au niveau des carrières Anglade et Sintès, à l'est du village, réputées excellentes pour la chaux qu'elles procurent.
Fait remarquable enfin, c'est la décomposition lente du feldspath entrant dans la composition des gneiss en une argile rougie par des oxydes de fer, qui est responsable de la coloration ocre-rouge du sol sablonneux de surface du plateau.

L'AGE TERTIAIRE
II est représenté par des marnes, dites sahéliennes, argile de couleur bleu foncé (en couche très épaisse au sud de la Bouzaréah). Cette argile, imperméable, forme le sous-sol moyen de la région de Guyotville. Elle affleure dans le lit de l'oued Béni-Messous.
Son rôle est fondamental pour la retenue des eaux d'infiltration qui forment unenappe profonde, abondante, tant au plateau qu'en bordure de mer, que vont puiser de nombreuses norias.

L'AGE QUATERNAIRE
Il correspond au terrain sablonneux de dunes très anciennes qui recouvre les deux tiers de la commune et dépasse Chéragas. Selon leur âge, ces dunes sont plus ou moins consolidées en profondeur, cimentées par le calcaire entraîné par les eaux pluviales en amas de tuf. En surface, le sol demeure sablonneux, d'une couleur ocre-rouge dont nous connaissons l'origine.
En agronomie, ces terres sont recherchées pour la culture des primeurs en raison de leur légèreté, de leur parfaite aération, de leur culture facile, tout en restant fraîches et humides dans les couches profondes.
Ainsi, climatologie et géologie ont désigné la région de Guyotville comme le terrain d'élection des primeurs.

Ces cultures ne pourront cependant trouver leur plein essor qu'un peu plus tard, lorsque les communications faciles seront assurées avec Alger et que des relations régulières avec la métropole et l'étranger seront établies par des paquebots rapides (puis des avions cargos).
Ce fut chose faite en 1901, lors de l'inauguration du petit train Alger - Koléa. Le Maréchal Soult avait vu juste : cette voie littorale s'imposait, malgré les difficultés de sa construction, les obstacles de la Pointe-Pescade et du Grand-Rocher, l'étaiement du boulevard Pitolet surplombant la mer.

Le petit train, à voie unique étroite, cheminait sur 44 kilomètres et, partant de la rue Waisse, à Alger, mettait une heure pour atteindre le village, s'arrêtant place du Gouvernement, à la Pêcherie, à Bab-el-Oued, aux Deux-Moulins, à la Pointe-Pescade (tunnel), aux Bains Romains, à Villas-Bains (Baïnem-Falaise), au Cap-Caxine, à Guyotville-Gare (après avoir franchi le tunnel du Grand-Rocher), puis Guyotville-Mairie. Les différentes étapes étaient ensuite : les Dunes, La Trappe, Staouéli, Sidi-Ferruch, Zéralda, Mazafran, Les Oliviers, Mitidja, Les Tuileries, Koléa ; un embranchement à Mazafran, long de 12 kilomètres, menait à Castiglione par Douadéa et Fouka.

Ce train qui joua un rôle important dans le transport des primeurs était concurrencé, pour le transport des passagers par la diligence de MM. Galliéro et Orienti, traînée par trois chevaux ; la Patriote servait alors d'écurie et l'abreuvoir se trouvait à l'emplacement du monument aux morts. Diligence et chariots se frayaient le passage sur un étroit chemin de terre entre la mer et le tunnel du Grand-Rocher.

Quand le petit train sera mis à la retraite en 1935, que la route sera goudronnée et élargie par dynamitage du Grand-Rocher et de son tunnel, M. Galliéro remplacera la diligence par une entreprise de cars, les cars bleus, concurrencés par les cars rouges Cortès, avant que les C.F.R.A. ne rachètent les lignes. Quant aux transports des primeurs, ils seront assurés par de nombreuses sociétés de camionnage, Ballester, A.M.A.S...

À son origine, le village était donc représenté par les vingt demeures construites en 1846, les maisons se groupant autour et en contrebas de l'église à partir de 1855. Le centre du village fut initialement la zone englobant l'église, la place, la mairie, l'ancienne poste, le lavoir (futur marché), l'abreuvoir (monument aux morts), les écoles. La rue la plus ancienne est la rue Marceau.

Mais, très vite, Guyotville s'étale tout en longueur, le long de la future ligne de chemin de fer, de part et d'autre de l'avenue Malakoff (qui deviendra rues Chanzy et Poincaré) sur un kilomètre entre la gare et les docks.

Les habitations, couvertes de tuiles romaines ou de terrasses, ont presque toutes des balcons et ne dépassent pas deux étages. Seules les maisons de front de mer, bâtie§_ à cheval sur une dénivellation de 12 à 15 mètres, ont une façade de 4 à 5 étages du côté nord, exposée aux embruns des tempêtes d'ouest. Presque toutes les demeures ont des cours intérieures.

Parallèlement à l'avenue Malakoff, trois voies
en contrebas, côté mer, un simple chemin de terre, à partir de la Patriote, se poursuit par la rue d'Alsace, jusqu'à la profonde échancrure de la petite plage qui l'interrompt ; puis la route reprend à partir de l'ancien casino, vers l'îlot ;
au-dessus de l'avenue Malakoff, la rue Laferrière, prolongeant la rue Victor-Hugo : dénommée primitivement " rue des Oursins ", elle fut tracée à l'occasion de la construction de maisons basses pour la colonie espagnole venue massivement vers 1866 ; à cette époque sont arrivées ces braves familles de travailleurs étrangers, les Barber, Serra, Zaragori, Mauri, Fornès, Pons, Oliver, Frau, Bonnet, Ballester, Trani...
Plus haut, le boulevard Parmentier qui, du quartier Lemonnier et de l'église, mène au stade.
De nombreuses perpendiculaires à ces quatre voies quadrillent le village .

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Mais un caractère propre à Guyotville est la dispersion d'une partie importante de la population communale en dehors du village, à l'inverse des autres agglomérations du Sahel ou de la Mitidja, où les fermes et maisons isolées sont rares. On découvre partout fermes et villas éparpillées ou groupées en hameaux, au Cap-Caxine, au Phare, à Saint-Cloud, à l'îlot, à la Madrague, sur la route de Staouéli ; en grimpant au plateau, on en découvre de part et d'autre des deux voies d'accès, fermes spacieuses entourées de jardins et de vignobles, qui ne disparaissent qu'à l'approche du ravin de Béni-Messous.

Cette dissémination, rare en Algérie, a deux causes
historique, car le Préfet Lautour-Mézeray obligea les concessionnaires à bâtir sur leur lot rural,
social, le territoire de Guyotville, protégé par les villages du Sahel et de la Mitidja n'ayant jamais eu à redouter les indigènes qui ont longtemps fait régner l'insécurité ailleurs.

Ainsi, en 1901, on dénombre 1.525 âmes dans le village et 1.295 habitants éparpillés.
Quelles sont les nationalités constituant cette population ?
En 1852, l'Enta avait implanté 53 familles françaises, 19 espagnoles et une indigène.
En 1866, l'implantation espagnole s'est amplifiée : 131 Français et 190 Espagnols.
En 1876, Guyotville, érigé en commune indépendante en 1874, compte 595 habitants dont 337 étrangers, surtout espagnols, et 5 indigènes.
Ainsi, jusqu'en 1876, la population d'origine est franco-espagnole.
En 1901, la population a triplé : 2.821 habitants. Mais un apport italien massif est constaté : 1.748 étrangers, dont 840 Italiens et 908 Espagnols.
La statistique du 4 mars 1906 est caractérisée par l'apparition des indigènes (musulmans de statut local) en nombre appréciable : 3.507 habitants dont 91 indigènes ; dès lors, l'apport indigène se développe rapidement, en même temps que les besoins d'ouvriers agricoles pour la culture des primeurs : en 1926, sur 5.065 habitants, 4.057 européens et 1.008 indigènes.

Le 8 mars 1936, une nouvelle statistique dénombre 6.736 âmes, dont
2.712 Français de souche (178 Métropolitains et 2.534 Algériens) ;
343 naturalisés (116 Espagnols et 217 Italiens) ;
2.552 indigènes de statut local (612 Arabes, 1.925 Kabyles, 11 Mozabites et 4 autres) ;
1.037 Européens étrangers (720 Espagnols, 294 Italiens, 23 autres) ;
92 musulmans étrangers (85 Marocains et 7 Tunisiens).

Le 30 octobre 1948, il y a 8.050 Guyotvillois
4.216 Français d'origine ou naturalisés ;
3.363 indigènes de statut local ;
198 étrangers musulmans (Marocains ou Tunisiens) ;
273 étrangers européens (Espagnols ou Italiens).

Jusqu'en 1953, la démographie ne varie guère : 8.091 âmes. Elle s'accroîtra rapidement par la suite : 12.000 en 1954, dont 5.000 indigènes ; 21.000 en 1960 ; 25.000 en 1962, avec un gros apport indigène.

Les divers éléments européens, français, espagnol, italien ne sont jamais demeurés isolés, vivant côte à côte, s'adonnant aux mêmes travaux, n'étant séparés par aucun idéal religieux ou social. Des unions nombreuses se sont nouées entre jeunes de nationalités différentes ; entre 1888 et 1900, 119 mariages entre jeunes de nationalité identique et 57 mariages " croisés ", impliquent déjà un mélange pour un tiers des familles.

En trois générations, une population mêlée s'est constituée, majoritaire, de même qu'un peu partout en Algérie : cette nouvelle race méditerranéenne, " pied noir ", demeurera sentimentalement française et les liens patriotiques seront encore resserrés par le sang versé de 1914 à 1918 : la longue liste de morts pour la France, à l'arrière du fronton du monument aux morts, en témoigne.

Faire revivre Guyotville, tel que nous l'avons connu, n'est pas chose facile. C'est surtout susciter l'évocation de souvenirs par l'énumération des noms, la localisation des habitants dans leurs occupations. C'est rappeler la vie des sociétés de fait, paroissiale, scolaire ou administrative, ou constituées, la Lyre, le Patriote, le Stade, le Cercle Saint-Roch. C'est essayer de faire apparaître l'âme du village dans ses fêtes et ses cérémonies, les délassements sur le bord de mer ou à la Madrague, à la forêt de Baînem ou au plateau... Ce chapitre ne peut être qu'une ébauche : tout un livre pourrait y être consacré.

La longue rue principale, ancienne rue Malakoff, actuelles rues Chanzy et Poincaré, groupe la plus grande partie des cafés, des commerces, des personnalités. Elle conservera longtemps un alignement de mûriers sur chaque trottoir, plus longtemps encore un pavage très bosselé et les rails du petit train, au milieu de la chaussée, redoutables pour les bicyclettes.

C'est là que se trouvent les deux cabinets médicaux, du Docteur Le Rochais qui succéda au Docteur Bertin, et du Docteur Clément ; plus tard, s'installèrent les Docteurs Sendra et Cherqui. Dans cette rue aussi, les deux pharmacies, Long de Paquit et Richard (avec M. Cassar) ; le notaire, Maître Champval puis Maître Cuq...

La poste, à l'angle de la rue Carnot, où se succédèrent Mmes Riolacci, puis Rucker, avec les facteurs Basile Montet puis Abécassis ; les plus âgés se souviennent qu'avant 1900,l a poste se trouvait à l'angle de la rue Louis-Bordo et du boulevard Laferrière, en face de l'actuel hôtel du Vert-Logis (M. Arniaud) ; sur son emplacement fut construit la maison Rando- Braca.

Les banques (sauf le Crédit Lyonnais, rue Victor-Hugo), le Crédit Agricole, les deux cinémas, Comœdia et Splendid sont aussi dans la rue Raymond-Poincaré... Une longue énumération serait fastidieuse ici : vous la trouverez avec le plan du village. (note du site: je ne mets pas le plan.)

Seule la gendarmerie se trouve éloignée du centre, en montant la rue Carnot, à droite ; elle évoque les noms de tous ces gendarmes qui ont vécu au village : Saluchon, Mauge Bernard, Bories, Geay, Berenguer....sans oublier Mr MOLIERE.

La rue principale apparaît bien l'artère vitale de Guyotville mais le cœur en est tout le site édifié autour de la place et du jardin public, en haut l'église, en bas sur la gauche la mairie, sur la droite les écoles.

La mairie, entre la rue Maréchal-Joffre et la rue Louis Bordo, séparée, vers l'arrière, de la maison Gauze (Jammes, quincaillier) par une ruelle, tourne sa façade vers la rue principale. Elle fut transformée en 1920, sous la municipalité Simounet, pour conserver son aspect actuel.

En rez-de-chaussée, à droite, la salle où se réunit le Conseil municipal, se font les mariages, se déroulent les élections. Le premier maire, en 1872, est Antoine Calvet, avec un Conseil de neuf membres. M. Patry-Gallaud lui succéda, puis M. Drouault, ancien commandant ; M. Tissier, capitaine des affaires indigènes en retraite, qui reçut, en 1903, à Guyotville, le Président de la République Émile Loubet sous un arc de triomphe fleuri, dressé à l'angle de la rue Louis-Bordo et de la rue Laferrière, au son d'une musique de la Lyre, composée par M. Adorno et chantée par les élèves des écoles.

M. Michel Cabeau, élu avant la grande guerre, demeurera jusqu'aux nouvelles élections après 1918 ; dans son conseil, M. Courgeon, adjoint, MM. Gros, Bernard, Simounet...

M. Camille Simounet est maire de 1919 à 1923, puis M. Paul Chaudière qui démissionnera en 1924, suivi de M. Joseph Adorno, édile de 1924 à 1928 et à nouveau de 1928 à 1932 (terminant son mandat par démission) ; M. Chaudière est son adjoint, avec M. Sanchez, Reynard, Garrigos, et comme conseillers, Mir, Orienti,, André Assante, Versaci, Moll, Ruggiéro, Illiano, Lemonnier, Plavis, Gagliano... M. Adolphe Mouchet est élu de 1932 à 1936. M. Joséphin Pélissier lui succède, avec Etienne Franzoni, Augustin Anglade, Joseph Visciano, Ernest Pascuito, adjoints, Jean Pons, Fernand Puget, Pierre Bruyant, Léon Pansier, Lucien Llinarès... membres du conseil ; M. Pélissier poursuit ses fonctions pendant la seconde guerre, jusqu'en 1941, époque à laquelle est nommé M. Coutherut, qui démissionne après quelques mois, remplacé par M. Etienne Franzoni, M. Pélissier reprend ses fonctions à la délégation spéciale de 1943 à 1946.

M. Mouchet est à nouveau élu maire, avec pour adjoints M. Bucaille, Mme Rucker, M. Chouaï, mais meurt la même année, à Paris, à la représentation de la Fédération des maires d'Algérie ; M. Marcel Bucaille, premier adjoint, le remplace. Il est élu maire en 1953 (avec A. Vitiello, Frachon, Pons, de Saint-Martin, Chouaï, Ibrouchène, Bélabide comme adjoints). Le Conseil est dissous après le 13 mai 1958, M. Gérard étant nommé président d'une délégation spéciale où l'on retrouve M. Franzoni, adjoint, avec M. Lespes. En 1959, les élections remettent M. Bucaille en fonction qui restera jusqu'en 1962. Le Conseil municipal est ramené de 35 à 15 membres dont MM. Vitiello, Marcellin, Licciardi, Ballester, Soler, Mora, Mme Martinez et sept Français Musulmans.

Pour être exact, une anecdote mérite d'être relatée, typique de l'esprit tout à la fois bon enfant et facétieux de la population du village : un autre maire fut élu à Guyotville, ne figurant pas dans cette énumération. Après la démission de M. Chaudière, maire, une partie des électeurs qui ne voulaient pas voir s'installer Mr. Adorno à la mairie, monte un énorme canular et élit le clochard du village, Montoyo, que l'on fait défiler en habit, dans une calèche. Inutile de dire que l'élection fut annulée et M. Adorno élu.

Les bureaux de la mairie sont au premier étage, ainsi que la bibliothèque municipale, inaugurée en 1937. Le bureau du maire, sur la façade, est contigu à celui du secrétaire de mairie où se succédèrent MM. Mouchet, Espinet, Peyronnet, Arnaud, Lancelot.

La partie gauche du rez-de-chaussée est occupée par la police municipale, s'ouvrant sur un jardinet où pendant des années s'érigeait une immense plante grasse, cierge mexicain dépassant la terrasse de l'hôtel de ville, que le vent abattit un jour. La police était municipale avant 1942 et l'on se souvient des figures familières des garde-champêtres, Wendler criant les décisions municipales au son de roulements de tambour ; M. Orienti Fortuné, M. Saler... A la même époque, M. Ambrosino était cantonnier, M. Besos, jardinier.

Après 1942, bien que municipale, la police est dirigée par un commissaire. Vers 1959, la population ayant beaucoup augmenté, Guyotville aura une police d'État et les locaux de la mairie lui seront affectés en totalité (avec Llorens, Tahar, Tarento, Montoyo, Sendra, Macarone (dit Papillon), Macchi, Brouard, Heymes, Kemmerer...).

La construction du nouvel hôtel de ville a en effet démarré vers 1954, à l'emplacement de l'arbre de la victoire et sur une partie de la place, supprimant le kiosque, complice de tant de fêtes villageoises, modifiant ainsi une harmonie bien familière.

Cette édification est le symbole de la nouvelle expansion démographique, coïncidant avec l'expansion urbaine. Un groupe de 90 logements H.L.M. est édifié sur le terrain Sintès, boulevard du Panorama, au quartier Lemmonier, 685 logements de type évolutif, avec 30 locaux commerciaux, sur le plateau ouest, un immeuble en copropriété de 54 logements et 24 commerces sur le terrain Longo, à l'angle du boulevard Parmentier et du boulevard Gambetta, sur ce terrain vague où, chaque année, le cirque montait son chapiteau.

Un centre de santé, avec assistante sociale, est construit au terrain Lemonnier, la première pierre étant posée le 27 novembre 1948 par le Gouverneur général E. Naegelen.

De nouveaux groupes scolaires sont édifiés sur l'emplacement de l'ancienne gare, route de la Madrague, au Grand-Rocher, à la cité évolutive ; l'école du Cap-Caxine est aménagée ; restaurant, cinéma, école de musique, centre médical scolaires sont inaugurés.

La route Guyotville - Alger est élargie et bitumée sur huit kilomètres, tandis que les rails et les pavés de la rue principale sont enlevés. Une route d'évitement du village est emménagée, avec pont et passage sous-terrain évitant le cisaillement de la circulation : boulevards de Provence et Parmentier et route de la Madrague.

Dès 1958, les P.T.T. installent l'automatique urbain. L'éclairage public est amélioré et étendu. Le S.G., qui a accédé en division d'honneur en 1949, voit son stade amélioré : l'ancienne tribune, construite sous la municipalité de M. Pélissier est complétée par deux tribunes. La clôture, les douches et tous les aménagements modernes nécessaires au fonctionnement d'un grand club sont mis en place... mais sur les deniers de M. Villanti, qui en avait fait l'avance.

Les travaux d'adduction d'eau sont améliorés, tenant compte de l'accroissement de la population. Consolidation du forage des dunes et nouveaux réservoirs au plateau complètent les travaux de captage et d'adduction des sources des Dolmens en 1900, de verdunisalion en 1937.

La première école fut fondée le 12 octobre 1870, à l'angle de la rue Victor-Hugo et de la rue Marceau, à l'emplacement de l'actuelle école libre. La rue Marceau est la plus ancienne du village : quand on y grimpe, en haut et à droite, on y voit encore deux vieilles demeures basses de l'époque de la construction.
Cette école devient école libre Saint-Joseph en 1884, l'école laïque se transportant dans trois premières classes construites près de la Patriote, à l'emplacement actuel de l'école communale.

L'ECOLE LIBRE SAINT-JOSEPH

Les deux premières religieuses de Saint-Joseph-de-Vans qui firent la classe étaient Sœur Marie-Gabrielle et Sœur MarieDenise. Dès 1897 arrive Mlle Sautel (Sceur Marie-Julia), qui sera la Supérieure ; Mlle Jeanne (Sceur Marie-Marguerite) en 1930 ; puis Mlle Pascal (Sueur Charles-Marie), Mlle Guyot (Soeur Marie-du-Sauveur), Mlle Dumas (Soeur Marie-Madeleine), Sœur Augustine était à la cuisine, Sœur Cécile, professeur de musique. Les anciennes élèves gardent un souvenir ému de l'époque où ces religieuses purent reprendre l'habit, en 1940.
On accède à cette vieille école, rue Marceau, soit par l'entrée basse, donnant sur trois classes qui entourent cours et préhaut intérieur, soit par l'entrée du haut s'ouvrant aux classes supérieures, au réfectoire et à la chapelle.
Plus tard, des bâtiments neufs seront édifiés dans le jardin, derrière l'école.

L'ECOLE MATERNELLE

Au bas de la rue Marceau, l'école maternelle a une cour intérieure donnant sur deux classes. Les appartements des instituteurs, aux étages, donnent sur la rue Poincaré. Mlle Valentini (1917), Mme Sainte-Marie, puis Mme Sansot, Mlle Duffaud, Mme Bergonzoli-Zaragori se dévouèrent sans compter auprès de tous les jeunes enfants du village.

L'ECOLE DE FILLES

En face, sur la gauche, l'école des filles, sa grande cour de récréation en bordure de la rue principale et ses cinq classes. Pendant les années 30, la directrice était Mlle Le Gentil, puis Mme Zaragori, Mlle Baissade, Mme Colin, et les institutrices, Mlles Darecy et Olive, Mmes Crabé, Mathieu et Gave, Mlles Bastouille et Bresson, plus tard Mme Elbaz, Mme Patania, Mme Prat, Mme Marin...

L'ECOLE DES GARÇONS

Longeant l'école des filles, les garçons atteignent l'angle de la rue Marceau et de la rue Poincaré, pour descendre une pente raide jusqu'au portail de l'école, à gauche : les jours de tempête de nord-ouest, le vent de mer s'y engouffre puissamment, freinant la marche et gonflant les pèlerines. Que de souvenirs accrochés aux murs de ces classes, dominant la cour du haut de quelques marches, le préhaut avec sa classe isolée du fond, face à ce bord de mer aux embruns énivrants, avec à droite le terrain vague du chevrier Achour, à gauche la Patriote et le stand de tir, au-dessous, les rochers bruns déchiquetés où se brisent, l'hiver, les vagues hérissées d'écume, tandis que par beau temps la mer vient lécher les " seccas " tapissées de mousses vertes : enfants, nous allions y faire la récolte de vers, munis de sachets de sulfate de cuivre, pour de longues parties de pêche sur les rochers.
Que de maîtres se sont succédés dans cette école, marquant de leur personnalité tant de jeunes Guyotvillois. M. Devaux, puis M. Marfaing furent parmi les premiers directeurs, puis M. Crabé, vers les années 30, M. Gave en 1934, M. Aouidad en 1936, puis MM. Agier et Mercier. De nombreux noms reviennent à nos mémoires Thomas, Morichère, Andréi, puis Piot, Guillemin, Richaud, Khaled, Moll, Stalano, Ounès, Pons, Vitiello, Elbaz, Choukroun... -
Ajoutons que le centre scolaire est complété par deux écoles mixtes créées depuis de très nombreuses années, l'une au plateau, avec trois classes (M. Zanetacci, 1920, M. Vit;ello, 1935, M. Sellom, 1939...) et l'autre au Cap-Caxine.

Complétant ce cœur du village, église, mairie, écoles, situés de d'autre de la rue principale, le monument aux morts et le marché.

Le monument aux morts, édifié après la grande guerre, fut œuvre d'Émile Gaudissart, architecte et peintre, né en 1872, à Alger.Situé en contrebas du jardin public qui donne accès à la place par un grand escalier, jardin planté de hauts palmiers, aux allées bordées de buissons de bougainvilliers et de pittosporums amoureusement entretenus par M. Besos (avec une vespasienne aux angles des rues Foch et Joffre), le monument aux Morts sera édifié à la place de l'ancien abreuvoir : à l'époque les conducteurs de gros chariots attelés de six à huit chevaux, transportant les vins de la région de Koléa et Castiglione faisaient une halte pour alimenter et abreuver les bêtes.

Chaque année, pour l'anniversaire de l'armistice de 1918, pour la Toussaint, pour tous les grands événements nationaux, de 1940 ou 1958, le monument sera le lieu de rendez-vous privilégié de toute une population recueillie, fidèle à son passé, consciente du sentiment national qui l'anime.

De l'autre côté de la rue, le marché est construit après 1900, sur l'emplacement du lavoir communal où, face à l'abreuvoir, les lavandières venaient faire leur lessive : aux dires des anciens, c'était le lieu choisi pour les " cancans " et les crêpages de chignons. Assez vite, le marché attirera surtout les poissonniers, un marché de légumes des quatre saisons se tenant chaque jour dans la rue Maréchal-Joffre.

Au centre de cet ensemble, la place, avec son beau kiosque au dôme de béton soutenu par huit colonnes, est entourée d'une pergola en maçonnerie blanche et bordée d'une rangée de palmiers sur les côtés est et ouest. La place prendra son allure définitive vers 1920, sous la municipalité Simounet, quand sera remplacé l'ancien kiosque en fer, construite la pergola et le banc courant de ciment à sa base ; quelques années plus tard, Michel Gagliano, qui exploite une cimenterie à l'ouest du village, près du nouvel abreuvoir ayant remplacé celui détruit à l'emplacement du monument aux morts, va carreler le sol de larges dalles.

Fréquentée toute l'année par les enfants, terrain de foot et piste pour vélos, la place trouve sa pleine justification pour les fêtes du village, renommées dans tout le Sahel.

Le 14 juillet inaugure les festivités ; mais la grande fête se tient le 15 août, pendant plusieurs jours, avec une importante fête foraine qui envahit la rue Victor-Hugo, les rues Maréchal Joffre et Foch. La Patriote défile clique en tête dans la rue principale, suivie des gymnastes en tenue, dans un ordre impeccable, qui, l'après-midi, font une démonstration sur la place ; le clou du spectacle est la pyramide, au sommet de laquelle Joseph Delteil maintient le petit François Cardamone.

Puis la Lyre va animer la sauterie gratuite de l'après-midi, prélude aux grandes festivités du soir.

La nuit tombe sur la place décorée d'une multitude de
guirlandes, de drapeaux et d'ampoules multicolores, de palme ornant le kiosque et la pergola. Toute la population y converge, jeunes et vieux mêlés, se frayant un passage au milieu des baraques foraines, des manèges et des balançoires, des attractions e toutes sortes, femme sans tête, circuit motocycliste de la mort...stands de tir ou de pêche aux anneaux ; les plus athlétiques viennent exhiber leur force au lancement d'un lourd chariot sur rail circulaire vertical, dans la petite rue derrière la mairie. Et toute cette foule bruyante s'agite au milieu des marchands ambulants de ballons multicolores et de petits jouets, parmi les senteurs de beignets italiens et de nougats, dans une atmosphère de liesse extraordinaire.
Dès que la Lyre, installée sur le kiosque, ouvre le bal, c'est la joie de tout un village dansant en rond, au son de passodobles ou de rumbas, de valses ou de tangos, de slow ou de quadrilles endiablés, tandis que les vieux, demeurés sur les chaises rangées autour de la piste, la tête pleine des souvenirs, revivent leur jeunesse.

Et quand survient l'entracte, de nombreux couples se glissent vers le square dans la tiédeur complice de la nuit, embaumée par le parfum des pittosporums, des belles et des galants de nuit.

Le village aime les réjouissances et en multiplie les occasions. Après la fête du village, c'est la " fête des vendanges ", au début de septembre, ou " fête du centre ", car elle se tient sur la place Marguerite, en contrebas du Comœdia ; les anciens racontent qu'au début du siècle, beaucoup hésitaient à s'y rendre, de crainte de danser sur leurs morts, la place Marguerite étant l'ancien cimetière, les 322 dépouilles mortelles ayant été transportées dans le mausolée du cimetière actuel, à l'est du village.
Durant l'été, c'est aussi la fête de la Madrague, chez Biben avec les " cabanoniers ", la fête du petit port, au club nautique ; en hiver, les bals sont organisés à la Patriote, dans les salles du Splendid ou du Comoedia.

Guyotville est un peuple heureux, et même au labeur laisse éclater sa joie de vivre : un grand moment de la vie du village est la vendange et l'expédition du chasselas. Tout commence vers le 25 juin et se termine fin juillet. Pendant un mois, le village est en effervescence. Les belles grappes de raisin doré à point, grâce à un effeuillage précoce, ramassées dans de grands paniers de roseaux de vingt kilos, sont transportées vers les multiples magasins d'expédition jalonnant le village.

Le raisin est alors l'objet des soins méticuleux de centaines d'emballeurs et d'emballeuses, préparant les grappes en éliminant les mauvais grains, en les éclaircissant aux ciseaux ; délicatement tenues par la tige pour conserver toute la pruine, elles sont rangées dans des cagettes de cinq kilos, en deux couches, seuls les grains devant apparaître en surface, dans un emballage de frisure et de papier cristal translucide, aux coloris variés, ou en billots de type Mussy, de 9,5 à 10,5 kilos, chargés dans les camions par des lanceurs puissants et habiles.

En pleine saison, 30.000 colis quittent Guyotville chaque jour, via Alger (Et. Franzoni, transitaire) en direction des halles de Paris (Mattési, vendeur aux halles), de Lyon, de Perpignan ou de Marseille.

Le soir, après la dure journée de labeur, quand le globe orangé du soleil plonge à l'horizon et que le dernier flamboiement du ciel s'estompe, quand les derniers cris stridents des martinets et des hirondelles se sont tus, la vie continue dans rue. C'est l'heure où l'on flâne dans la rue principale, où Léon l'aveugle, pousse sa charrette de cacahuètes, de tramousses de bliblis le long des trottoirs ; devant les boutiques délaissées chacun prend le frais sur les chaises ; c'est l'heure des conciliabules devant les bars, des belotes et l'anisette dans les cafés qui jalonnent la rue principale

Guyotville sait aussi se distraire. Les activités de sociétés telles la Lyre ou la Patriote, le Cercle Saint-Roch ou le S.G., sont intimement liées à la vie du village.

La Lyre est la société la plus ancienne, héritage d'un groupe de musique créé dès 1888, sous la direction du chef-compositeur Mairetet, puis d'un Algérois venu du Midi de la France, M. François Dimascolo; dès l'époque M. Joseph Adorno est sous-chef de musique ; entièrement dévoué à la Lyre, plusieurs fois chef de musique, participant à son activité, même pendant ses fonctions de maire, de 1924 à 1932, il ne partira qu'en 1945. Les répétitions se tenaient dans un atelier appartenant à M. Tissier, alors maire, dans une petite maison, face à la place Marguerite : c'est là qu'eurent lieu les premiers bals.

Les statuts de la Lyre sont déposés le 13 février 1891, approuvés par la préfecture le 5 septembre 1892. Son siège se situera salle de la Lyre, à l'emplacement actuel du cinéma Splendid, construite dès 1892 et agrandie par la suite. Chaque mois, un bal ou un concert y est donné ; la Lyre devient célèbre et se déplace beaucoup, à Staouéli, Zéralda, Chéragas, Castiglione.

Après la présidence de M. Kingen, en 1889-90, le premier président effectif est M. Jean Aloy, maître boulanger, Louis Chazot, propriétaire au plateau (directeur de l'école du Champ-de-Manceuvre qui prendra son nom), vice-président, Baptiste Salva, secrétaire, Salvator Palmisano, trésorier, Raymond Orienti, Janvier Vitiello, Pierre Lonati, Jules Plavis, Emile Maillol, Dumont et Majol, membres. Sous la direction de Joseph Adorno, les premiers musiciens sont : Jules Lonati, Joseph Fornès, Marius Sabatier, Louis Galaud, Simon Maggini, Baptiste Nicolini, Lucien Amiel, François Casanova, Balthazar Frau, Joseph Jourdan, Dominique Altaras, Michel Gonalons, Michel Mengual et Baptiste Godet.

Par la suite, d'autres musiciens, bien connus dans le village, serviront de longues années à la Lyre, pour ne citer que François Domenéc (toujours alerte à l'âge de 90 ans), Joachim Mouchet, Fortuné Orienti, Henri Georges, Jean Mazella, Antonin Espinet, Michel Gagliano, Claude Cau, Gabriel Frau, Antoine Fiore, Antoine Llinarès, Pérez, Joseph Mora, Hilaire Cuba, Nicolas Méglio, Albert Ballester, Pierre Miele, Antoine Ortiz, Henri Bardin...

Dix-huit présidents se succéderont de 1890 à 1945: MM. Jean Aloy, Louis Chazot (1895), Sébastien Marguerite, Docteur Bertin (1898), Michel Cabeau (ancien maire), Camille Simounet (ancien maire), Marius Christol, C. Simounet (1919), Paul Chaudière (ancien maire), Meynadier (1930), Pascuito, Dominique Scotto, Garrigos, François Moll, François Orénès (1937), Quesnel, Fr. Moll, Camille Mazella (1945). Parmi les membres du bureau, plusieurs se sont distingués par leur dévouement et leur longévité dans la société, tels Christophe Pons, Gaétan Tink, Michel Gagliano, Joseph Pons, Baptiste Salva, Raymond Orienti, François Cacciutolo, Adolphe Mouchet, François et Joseph Palmisano.

Quant aux chefs de musique, autres que Joseph Adorno qui ont dirigé la Lyre, citons MM. Mondejar, Bitard, Bayada, Perrin, Escoffier, Gobeaux, puis, après 1945, Casquero, Sèbe

Jusqu'à la seconde guerre, ce sera l'âge d'or de la société musicale, toute la population aidant à son activité pour ses nombreux déplacements : elle se distingue sous la baguette de M. Adorno, récoltant premiers et seconds prix, aux concours d'Alger en 1892, Médéa en 1894, concours international de Marseille en 1895, d'Alger en 1895, Blida en 1896 et 18098, Alger en 1899, Sens en 1904, où ce fut un triomphe, de même qu'à Saint-Denis en 1907. Puis vint la guerre, où la société se met en sommeil ; elle reprend ses activités en 1919 sous la présidence de M. Simounet, ancien maire, et la direction de M. Bayada. En 1929, elle se distingue au festival d'Oran. Lorsque M. Adorno prend sa retraite en 1945, M. Sèbe succède comme chef, menant la formation au concours d'Alger en 1950, aux festivals d'Hussein-Dey et de Birkadem.

La Lyre attire beaucoup de jeunes ; dès 1932, M. et Mme Devy, professeurs de musique, organisent l'audition publique de jeunes musiciens dont Tony Ortiz, 7 ans, Pierrot Miele, 8 ans... ; une phalange de jeunes classes de musique est créée en 1945. La Lyre sait aussi rester jeune, acquérir dès 1929, par souscription, du matériel de jazz, formant une section de jazz très appréciée.

Pour améliorer les finances, la salle de " cinéma la Lyre est créée en 1913. M. Joseph Adorno s'en occupera jusqu'en 1924, puis M. Adolphe Mouchet jusqu'en 1929 ; ce dernier entreprendra des travaux en 1927, construisant le balcon et agrandissant le couloir. E. Pascuito et François Moll lui succèdent. M. Courgeon loue la salle en 1933, pour que seule fonctionne la salle du Comcedia ; le cinéma sera vendu 1935 et deviendra le Splendid, mais salle et matériel resteront propriété de la Lyre.

Toute la vie du village aura été rythmée par la musique de la Lyre, concerts et bals, fêtes du village, aubades du Jour de l'An (précédées de " bombes " aux quatre coins du village) ou des jours de fête, devant les demeures des autorités, cérémonies au monument aux morts, obsèques enfin la musique conduisant le cortège jusqu'à la Makanghia, parfois jusqu'au cimetière.

La Patriote sera créée quelques années plus tard, en 1906. Comme la Lyre, elle participera à de nombreux concours. Ainsi, dès 1907, sous la présidence d'Auguste Berthier, elle se rend au concours de Calais. Dans les années précédant la seconde guerre mondiale, la société de gymnastique, sous la direction éclairée du moniteur général Henri Paya et des moniteurs adjoints, André Casanova, maître d'éducation physique et moniteur diplômé, de 1925 à 1935, puis de Joseph Ciaravolo, sous la présidence de Léon Gumina, puis de René Camps, s'illustrera dans de nombreuses démonstrations en Algérie comme en métropole, à Chambéry (1932), Roanne (1933), Royan (1935), Commentry (1937), Moulins (1938)...
La clique de la Patriote est aussi fameuse. François Fornés y entre dès 1910, à l'âge de 9 ans, pour devenir plus tard le chef de la clique. Avec la Lyre, la Patriote participera à toutes les fêtes et cérémonies.
Initialement, le siège de la Patriote se situait rue Drouault, dans la maison Moil (face au magasin de Mimi Lauro), mais se transposera dans l'édifice aux dimensions plus conformes à ses activités, au bas de l'école des garçons, face à la mer.

Le Cercle Saint-Roch

C'est en 1922 que l'abbé Salles, au prosélytisme éclairé, a créé le Cercle Saint-Roch. M. Etienne Franzoni en a la présidence, mais c'est essentiellement M. Jean Villanti, entré au cercle à sa fondation, âgé de 18 ans, qui en sera l'animateur.
L'objectif du cercle est d'empêcher les enfants d'être livrés à eux-mêmes dans la rue, les plus âgés de traîner dans les bars : le cercle a une triple activité, culturelle (séances de cinéma, représentations théâtrales), de formation religieuse, sportive enfin.
M. Villanti crée la section football en 1925, les matches se jouant sur un terrain vague entre la Makanghia et l'école Saint-Joseph. En 1926, la section baskett est inaugurée, sur la place Marguerite ; une section cycliste sera dirigée par M. Mérone ; les jeunes pratiquent aussi le volley, la natation, l'athlétisme.
Le Cercle Saint-Roch sera constamment dirigé par M, Jean Villanti qui consacre sa vie à cette oeuvre de jeunesse de toute son âme d'apôtre, poursuivant son activité en métropole.
Le siège du cercle variera au, cours des ans, initialement face à la Makanghia, rue Poincaré, puis chez M. Alemany, avenue Pasteur, à l'emplacement de la charcuterie Pons, puis une année à l'angle de la rue d'Alsace et de la rue Drouault, pour se fixer rue Drouault, dans la maison Dovidio, à l'angle de la rue Tissier.
En 1935, les sections sportives du Cercle Saint-Roch se dissolvent, pour donner naissance au Stade Guyotvillois.

le S.G : Stade Guyotvillois

Le Cercle Saint-Roch est donc à l'origine des sections sportives du S.G. Le premier président en est E. Franzoni et J. Villanti vice-président ; ce dernier prendra la présidence en 1943.
La section de football du S.G., en troisième division à son début, accède en première division dès 1945-46: elle a bénéficié de l'apport des premiers joueurs de Guyotville qui ont fait leurs armes dans l'équipe du Gallia, à Alger, où le recruteur est un autre Guyotvillois, Joseph Garrigos.
Le S.G., champion de première division en 1947-48, brûle les étapes et accède en division d'honneur en 1948-49, battant le G.S. Orléansville au cours d'un match mémorable. Couard est alors l'entraîneur ; il a été précédé dans sa tâche par Charles Vidal, Pierre Izzo et Dominique Zattara ; il sera suivi de e Tempowski, puis Vitiello. Un jeune footballeur, Robert Buigues, pupille au S.G. en 1962, fera une brillante carrière professionnelle.
La première tribune, construite en 1937, est agrandie en 1954 par deux ailes ; tous les aménagements complémentaires, indispensables pour la division d'honneur, sont financés par J. Villanti qui fait l'avance... mais ne rentrera jamais dans ses fonds.
En 1954, M. Villanti démissionne et M. Sirveaux lui succède, avec Gilbert Alemany à la vice-présidence.
En plus du football, le S.G. dirige toutes les sections sportives de volley-ball, basket, natation et water-polo, cyclisme, athlétisme, avec François Ribès.

LES BOULES

La société de boules est indépendante. Le terrain de jeu est la place Margueritte. Les équipes guyotvilloises connaissent de beaux succès en jeu algérien. La triplette Germain Jourdon, Maurice Jourdon, Joseph Da-Fina gagne le grand prix de Boufarik, alors que les frères Germain et Maurice Jourdon avec Jeannot Vitiello, gagnent le grand prix de "l'Écho d'Alger".

LA MER

Guyotville dispose enfin d'un atout supplémentaire, ses alentours, avec trois sites enchanteurs, la mer, singulièrement l'Ilot et surtout la Madrague, la forêt de Baïnem, le plateau et sa campagne.
Presqu'en toutes saisons, sauf par vent de nord-ouest, la mer, toute proche, au Cap-Caxine, à Saint-Cloud, sur les rochers et les " seccas " du littoral, à la petite plage, est un attrait permanent ; mais l'Ilot et surtout la Madrague sont le lieu de prédilection.
On accède à l'Ilot par la route qui prolonge le front de mer après la petite plage, en côtoyant une rangée de villas et cabanons côté mer. Vers l'intérieur, les propriétés Van de Kerkov, Versaci, Lopinto... Puis c'est la montée de la Ras-Acrata, dominant la mer d'une trentaine de mètres : les couchers de soleil y sont splendides, avec un premier plan d'îlots rocheux noirs, se détachant sur la clarté argentée de l'eau et le flamboiement du ciel. Et c'est le plateau au versant abrupt, dominant le petit port construit vers 1920, la baie de la Madrague avec ses cabanons s'étirant au loin après "chez Savoyant " vers la plage Texier et le club des pins...
En été, chaque dimanche, la plage est noire du monde
venu de l'exode de toute une partie de la capitale, en auto, en vélo, en car ou en moto. Une ambiance de fête règne au milieu des odeurs de frites et de brochettes ; chacun plonge, barbotte, nage et se bronze indéfiniment au soleil sur le sable doré. Dans la soirée, les terrasses des cafés- restaurants sont envahies par les estivants, à Riva-Bella chez Mme Jacques (anciennement Aléva), à la Guinguette chez Brignone, à la Riviéra chez Macarone, au Méditerranée chez Biben, au Pescadou, à la baie d'Along, à Mar y Sol... Attablés devant une boisson fraîche, ils contemplent, au soleil couchant, les évolutions de hors-bord, ou les voiliers attardés d'une régate, rejoignant le port.
Enfants, nous aimions la Madrague en semaine, au printemps ou à l'automne ; nous y allions à pied, par la route prolongeant le boulevard Parmentier, après le stade, croisant la route de Staouéli, longeant les propriétés Lubrano, Ambrosino, Napoléon, Ruggiéro, Longo.
En toute tranquillité, nous pouvions, au petit port, nous baigner à la passe, ramasser des oursins en pastéra, avec un" carreau ", entre les rochers de la Ras-Acrata, assister le soir, à l'arrivée des bateaux de pêche des Banuls ou des Lauro, au départ des lamparos, tandis que sur le terre- plein s'éternisaient les parties de pétanque.

LA FORET

La forêt de Baïnem nous attire surtout en automne. Les familles entières y pique-niquent le dimanche, pour la cueillette des champignons. Il faut grimper en voiture la route d'Aïn-Bénian, toute droite derrière l'église, ou celle prolongeant l'avenue Pasteur et longeant les propriétés Bruyant, Fabre, Chaudière, Coll et Ségui, pour rejoindre, après une longue courbe, la route d'Aïn-Bénian. Un grand virage conduit à la propriété Rouzeaud, au " château " ; le château a appartenu à M. Tissier, ancien maire, puis, par héritage, aux deux frères Vaillant, à M. Meynadier, enfin à M. Rouzeaud. C'est au château que logea, en 1943, le Général Eisenhower, après le débarquement allié ; on pouvait le croiser, toujours très courtois, accompagné de sa fille, pour des promenades à cheval.
Puis défilent les propriétés Falconnet, Gumina... et l'on parvient au croisement avec la route communale du plateau ouest qui a obliqué en direction de la forêt à partir de la propriété Ebert, des Dolmens. A cet endroit se trouve la petite école du plateau, et l'on aperçoit à gauche la forêt de Bainem.
Que d'après-midi joyeuses passées sous les pins, parmi les touffes de " diss ", les bruyères et les arbousiers, les cyclamens et les boutons d'or, à la recherche des champignons : bolets jaunes, sanguins, roses ou ombrelles. De nombreux sentiers s'égarent dans le massif très vallonné, pour aboutir tout à coup, dans une trouée d'arbres, au magnifique panorama du Cap-Caxine. Au bout de, la longue allée Charlemagne on gravit la butte, dénudée à son sommet, d'où l'on découvre l'immensité de la forêt.

LE PLATEAU

Le plateau où, écoliers, nous allions nous promener, aider aux vendanges ou au ramassage des primeurs, accompagner, de grand matin, les chasseurs de lièvres ou de perdreaux rouges, a aussi un charme infini.
Après avoir longé le stade, au bout du boulevard Parmentier, il faut gravir, vers la gauche, la longue route droite du plateau ouest, bordée, à l'est, d'un muret de pierres taillées et d'une haie de cyprès ; au sommet, la route oblique à droite, vers le verdunisateur (plus tard sera édifié à ce niveau l'ensemble des logements de type évolutif), puis elle serpente entre les propriétés. Au printemps, les champs sont parsemés de l'infinité des taches jaunes de la " vinaigrette "
(oxalis) dont nous sucions les queues acidulées, et des " crachats du bon Dieu " (thlaspi), minuscules fleurs blanches en grappes, embaumant l'atmosphère.
Un peu partout s'égrène la chanson cristalline et monotone des norias. Qui n'a admiré ce site merveilleux, au sud, les belles collines de chasselas, rayées des longues stries des abris de roseaux, derrière lesquelles se blotissent Ouled Fayed, Chéragas et Staouéli, à l'ouest, vers les dunes de bord de mer, la presqu'île de Sidi-Ferruch se profilant dans la mer qui scintille au soleil et, plus loin, dans la brûme, la cime du Chenoua, derrière laquelle se cache Cherchell, au nord, enfin, la mer aux horizons changeants infinis.

Voici venir la dix-septième année de notre exode (note du site: la brochure est de mai 1980) et la quatrième réunion de notre amicale, pour la Pentecôte. Emouvante assemblée de ce qui fut un village français et qui n'est que lambeaux épars cherchant désespérément, une fois l'an, à se retrouver. Nous voudrions au moins connaître la cause profonde d'un tel malheur ; y avait-il un remède ?
J'ai partout retrouvé les mêmes arguments : c'est le "vent de l'histoire" obéissant à l'inéluctable principe du " droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ", c'est-à-dire à voir éclore en eux les germes inévitables de l'éveil nationaliste, comme une sorte de génération spontanée, et qui doit provoquer la libération du joug du colonialisme. C'est ce principe idéaliste qui a conduit un homme de gauche, MendèsFrance, à abandonner, après Dien-Bien-Phu, l'Indochine, tout comme un homme de "droite", De Gaulle, aux accords d'Evian, mais ici, après la victoire de nos armes.
Ce principe se révèle en réalité être un principe révolutionnaire, non une espèce de génération spontanée, mais une émanation voulue de l'idéologie marxiste, savamment distillée. En fait, nous assistons non à l'éclosion harmonieuse des peuples " libérés ", mais à leur déchéance et à la misère, à la guerre qui se poursuit, à l'anarchie ou au totalitarisme, de toute façon à une nouvelle colonisation idéologique et économique qui profite aux deux grands empires rivaux marxiste et capitaliste...
Y avait-il un remède ? Je livre à votre méditation ces quelques lignes, retrouvées dans la correspondance du Père de Foucault, qui connaissait si bien notre terre et y a laissé la vie. Avec une troublante prémonition, il écrivait le 12 décembre 1912 au Duc de Fitz-James, 50 ans avant notre exode
" Quel bel empire, à condition de le civiliser, de le franciser et non de se contenter de le maintenir soumis et de l'exploiter. Cet empire africain sera, dans un demi-siècle, un admirable prolongement de la France. Si, oublieux de l'amour du prochain commandé par Dieu, nous traitons ces peuples, non en enfants, mais en matière d'exploitation, l'union que nous leur aurons donnée se retournera contre nous et ils nous jetterons à la mer à la première difficulté européenne".
Il précisait encore dans une lettre du 16 juillet 1916 à René Bazin : " Ma pensée est que si petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du Nord de l'Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir le coeur et l'esprit français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir par elle, influencer les masses... elle se servira de l'islam comme levier pour soulever la masse ignorante et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant ".

Docteur Georges Pélissier.














Bonjour, Merci pour ce magnifique récit qui m'aide à me projeter dans la vie de mon père et de mes grands parents. Si je comprends bien Un PLAVIS était un conseiller du Maire de Guyotville vous rappelez vous de son prénom? Je suis la petite fille de Pierre PLAVIS était ce mon arrière grand père ? Augustin? Cordialement
Amandine PLAVIS - Manzat, France

25/03/2022 - 538098

Commentaires

Mon grand-père, Antoine Salleras, tenait le café au bout du petit port de la (petite) Madrague, au pied de la falaise, et son nouvel établissement, bâti juste au-dessus de l'ancien, en dur et non plus en bois, devait avoir une jolie vue sur l'ensemble des plages. Il n'a pas eu la chance de le terminer, départ oblige. Ce fut fini par d'autres...
Marchand Yves - Retraité - Pegomas, Algérie

10/08/2015 - 272405

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Bonjour, je suis le fils de Pomarede Jean et de Joubert Paulette"decedes en 81 et 91", qui ont vecu comme mettaye sur la ferme de Mr et Mme Faconnet jusqu'en 1955 et nous somme revenu voire Mr Et Mme Falconnet "qui sont a ce jour decedes depuis longtemps" jusqu'a l'independance avec mes Parents, mes Parents habitait a l'entre un batiment en brique rouge, et je me souviendrait de cette longue alles d'amandier qui menait au "chateau" je voudrais retrouve des photos et savoir si la ferme existe toujours, je suis parti avant l'independance en 58, j'y suis retourne en voyage une semaine en 2008, etj'y retournerai surement
Pomarede Jean-Noel - retraite - Le Mans, France

19/07/2015 - 268907

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en 1962...javais 5ans ...nous abitions la cite belle vue que vous avez omis de la citer contrairement ala cite evolutive qui est amon sens moin importante !...ceci dit la plus part des sites que vous avez cite etaient preserves jusqu en 1980...ou la decadence commenca.
Rabah Mahdjoubi
12/08/2014 - 210781

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Ayant découvert Guyotville en 1954, venant du Maroc en compagnie de ma fiancée, j'ai pu apprécier l'accueil des propriétaires de l'Hôtel San Sébastian ! Revenu au même endroit, dans d'autres conditions ..., j'ai retrouvé cette famille, avec qui j'ai beaucoup sympathisé. J'aimerais savoir si leur fils est encore en vie. Malheureusement, je ne retrouve plus leur nom. Quelque "ancien" de Guyotville pourrait-il m'aider ? Merci d'avance, Henri
Imbert Henri - retraité - strasbourg, France

01/04/2012 - 29828

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Je suis Jean-Noel, fils de Jean, mes parents ont du travaille comme gardier metayer a l'entree de la ferme, chez Mr Falconnet jusqu'en 1955 je crois, je voudrais bien retrouver des photos de la proprietee Falconnet
Pomarede Jean-Noel - commerçant - Guyoville, Algérie

15/03/2011 - 12513

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