Algérie - Bordj El Kiffan

Un nom que peu de gens connaissent, d'autant plus que depuis trente ans, il a cédé la place à Bord el Kiffan... C'est là, pourtant, qu'aboutit le principal câble sous marin reliant la France à l'Algérie.

Fort-de-l'Eau... Un nom que peu de gens connaissent, d'autant plus que depuis trente ans, il a cédé la place à Bord el Kiffan... C'est là, pourtant, qu'aboutit le principal câble sous marin reliant la France à l'Algérie.

En 1962, à la veille de l'indépendance de ce territoire qui fut français pendant cent trente deux ans, près de quatorze mille personnes vivaient à Fort de l'Eau, dont environ sept mille Européens. Dans leur quasi totalité, ceux-ci ont dû tout quitter pour être "rapatriés" en France métropolitaine.
C'est à ces Aquafortains qu'est dédié cet article : à tous ceux, hommes, femmes et enfants qui disaient, en parlant de Fort de l'Eau, "mon village", qu'ils soient du Lido ou de Verte Rive, de la Station ou du Retour de la Chasse, ou (comme moi) du "centre ville".
Depuis bien des années, je souhaite écrire un livre sur Fort de l'Eau. Mais je ne voulais pas qu'il se réduise à une étude historique et géographique, bien que le métier que j'exerce depuis un quart de siècle m'y porte naturellement.
C'est pourquoi j'ai décidé, en écrivant ces pages que vous avez entre les mains, de "poser la première pierre" d'un projet plus ambitieux : permettre à ceux d'entre vous, anciens Aquafortains, qui n'ont jamais osé coucher par écrit certains souvenirs, de raviver leurs mémoires et de faire passer leurs émotions. Seul, en famille ou entre amis, rédigez donc quelques lignes (entre une demi page et quelques pages) et racontez votre meilleur souvenir de Fort de l'Eau, quel qu'il soit : un bal du 15 août, une farce avec des copains, la description d'un personnage typique
L'essentiel, c'est qu'en vous lisant, on puisse dire sans amertume - ce qui n'exclut pas la nostalgie -: "Ah oui, il faisait bon vivre à Fort de l'Eau".
Un peu de géographie humaine
Fort de l'Eau était situé sur la baie d'Alger, à 17 kilomètres à l'est/sud-est de la capitale, entre l'embouchure de l'oued Harrach et le cap Matifou.
La commune, après diverses modifications, couvrait 25 km2, soit un peu moins du quart de Paris intra muros. Sa densité, au début des années 1960, était donc d'environ 560 habitants/km2.
Elle comportait, dans sa partie nord, une façade de plusieurs kilomètres en bordure de la mer Méditerranée. A peu près au milieu de cette zone littorale se trouvait un vieux fort turc : situé sur un terre-plein qui dominait d'une quinzaine de mètres, vers l'ouest, la plage de la Sirène, délimité par un fossé d'enceinte, il jouxtait un puits avec abreuvoir. On comprend ainsi le nom donné à la commune.
Du fort, si l'on regardait vers l'intérieur des terres, on avait pu, pendant des décennies, constater qu'il y avait tout autour quelques dizaines d'hectares ensemencés puis, jusqu'à l'horizon, des broussailles, des lentisques et quelques oliviers sauvages. Mais à l'époque où j'ai vécu à Fort de l'Eau (entre 1945 et 1962), l'urbanisation avait bouleversé les paysages naturels. Le village moderne, aux grandes rues bien tracées et orthogonales, présentait des caractères communs aux autres centres de colonisation algériens. La Station balnéaire, au-delà du Casino, était séparée du rivage par un boulevard front de mer que l'on se plaisait à arpenter le dimanche après-midi.
Plus loin, on arrivait au Lido, où se trouvait un camp militaire. Quelques centaines de mètres à l'intérieur des terres, on trouvait le Stade Municipal qui retentissait aux exploits de l'USFE, l'équipe de football de l'Union Sportive de Fort de l'Eau, au maillot rouge et vert.
Quand on quittait le village vers le nord-est, on rejoignait le quartier de la Verte Rive, près duquel se trouvait le cimetière. Celui-ci, où reposaient en paix plusieurs générations de nos ancêtres (trois ou quatre pour certaines familles), a hélas été, à plusieurs reprises, profané depuis l'indépendance, et ce n'est pas sans
émotion que nous avons pu voir des photos de ces intolérables saccages dans certaines revues comme "Pieds-Noirs Magazine".
Fort del'Eau connaissait un climat méditerranéen, doux et agréable. La température moyenne annuelle était du 17°5, celle du mois le plus chaud (août) 25°, et celle du mois le plus froid janvier) 1 1 °.
Mais je me souviens personnellement de certaines journées torrides, en été, au cours desquelles le thermomètre dépassait 40°. Le sirocco, vent très chaud et sec venu du désert, soufflait parfois, rarement plus de quelques heures, exceptionnellement un jour entier. II faisait si bon, alors, s'étaler de tout son long sur le carrelage, en short et chemisette, les volets presque clos : et l'on se laissait aller à une douce torpeur.
Par contre, aussi loin que je puisse fouiller dans ma mémoire, je ne me rappelle pas avoir vu de la neige à Fort de l'Eau, si ce n'est quelques minuscules flocons aussitôt volatilisés dès qu'ils touchaient terre : ce devait être au cours de l'hiver 1956. Mais de plus anciens que moi ont peut-être gardé le souvenir d'un blanc manteau couvrant nos rues et nos toits en terrasses...
Les précipitations s'élevaient à 650 mm/an en moyenne, avec une assez grande irrégularité interannuelle. En été, le ciel restait souvent bleu pendant plusieurs semaines d'affilée : pas un seul nuage pour empêcher le soleil de briller. Les stations météorologiques de Maison Carrée et du Cap Malifou relevaient rarement plus de I à 5 mm au cours des mois de juillet et d'août. Décembre était le mois le plus arrosé, avec un peu plus de 100 mm, répartis sur une douzaine de jours. En règle générale, le nombre de jours de pluie n'excédait pas quatre-ving-dix : autrement dit, il faisait à Fort de l'Eau un temps superbe, doux et ensoleillé, pendant les trois quarts de l'année.
Les orages violents n'étaient pas rares, surtout en Mai et en Septembre. Ils étaient parfois accompagnés de chutes de grêle, essentiellement le matin, mais celles-ci survenaient aussi en hiver, de décembre à février.
Les petites collines qui délimitaient Fort de l'Eau vers le sud ne constituaient pas un écran montagneux suffisant pour empêcher notre commune d'être très ventilée. Soufflant assez régulièrement, le vent avait incité à la construction d'éoliennes,
mais nécessitait aussi des brisevents découpant les champs cultivables en petites cases protégées. Soufflant le plus souvent du sud-ouest le matin, il tournait au nord en milieu de journée pour s'atténuer ensuite et revenir au sud le lendemain matin : phénomène bien connu de la brise de terre et de la brise de mer, selon que la Méditerranée -jouant le rôle d'une "volant thermique" - apparaissait plus chaude ou plus froide que le continent africain.
II n'est pas question ici de mener une élude géologique et pédologique détaillée. Il suffit de rappeler que la plaine côtière, d'Hussein Dey à la Réghaïa, est une plage quaternaire récemment exondée. Des grès durs de dunes anciennes dessinaient une mince ride séparant les sables de la côte des limons argileux de la Mitidja : désagrégés en sable par l'érosion, ils donnaient à Fort de l'Eau des sols chauds, légers, renfermant d'abondantes nappes aquifères, donc très propices à la culture des primeurs.
Contrairement à d'autres communes du littoral algérois, Fort de l'Eau se présentait comme une entité économique particulière malgré l'urbanisation, et parallèlement à celle-ci, la vie rurale n'avait pas perdu tous ses droits. Et nombreuses étaient encore. dans les derniers temps de l'Algérie française, les fermes et les exploitations maraîchères qui vivaient en symbiose avec les citadins du village.
Fort de l'Eau n'a été érigée, sous ce nom, en commune de plein exercice, que le 2 juin 1881. En fait, sa création remonte trente ans en arrière, lorsque fut créée, le 22 Août 1851, la Commune de la Rassauta, qui débordait alors sur les localités voisines de Maison Carrée (= Harrach) et de Maison Blanche (=Dar el Beïda).
La population, qui n'était que de "cinquante feux" ? soit environ deux cents habitants en 1852 augmenta rapidement sous le Second Empire pour atteindre I 800 habitants en 1884, dont 963 Européens. Ceux-ci restèrent plus nombreux que les Musulmans jusqu'en 1931, date à laquelle la population atteignait 4 765 habitants. Au cours des douze années suivantes, malgré la crise économique et la guerre, on assista à un véritable boom démographique : les Européens passèrent de 2 518 à 4 197 habitants (augmentation des deux tiers), et les Musulmans de 2 247 à 6 529 (quasi triplement), soit, au total, 10 726 habitants en 1944. La progression se poursuivit après la guerre, les Musulmans dépassant le cap des 8 000 personnes et les Européens celui des 5 000. Mais les deux communautés vivaient séparées.
La plupart des Musulmans vivaient sur le territoire de la commune de Fort de l'Eau généralement dans des gourbis et autres habitations précaires situées sur le versant méridional de la colline qui séparait le "village" européen de l'arrière-pays.
Il s'agissait souvent d'indigènes installés dans la région depuis plusieurs générations, voire plusieurs siècles : l'absence d'état civil à ces époques lointaines ne permet pas d'être plus précis.
Mais Fort de l'Eau connut aussi une assez forte immigration arabe en certaines périodes (entre 1940 et 1949 par exemple). Des Kabyles vinrent également s'établir, ainsi que des Mosabites qui, généralement, s'installaient comme commerçants dans le village où nous les désignions sous le nom de "Moutchous".
Quant à la population européenne, à côté de Français d'origine métropolitaine et de quelques familles juives, la plupart de ses ressortissants étaient originaires des îles Baléares : tant de Majorque et d'Ibiza que de Minorque, ce qui ne les empêchait pas d'être souvent regroupés sous l'appellation "Mahonnais".
Fort de l'Eau fut même qualifié, dans un article paru vers le milieu des années 1959, de "principauté mahonnaise aux portes d'Alger".

Tout débute avec un Fort
Le Fort de l'eau, qui contrôlait la baie d'Alger, contre toute attaque, avait été conçu en 1556 par le pacha turc Mohammed Kurdogli, et fut terminé en 1581 par un autre fonctionnaire Djfar Pacha.
Dès 1832-33, le fort fut occupé par un détachement de cinquante légionnaires, appartenant au bataillon de Maison Carrée, afin d'assurer la défense de faucheurs et le transport de fourrage par voie de mer de la plage de Fort de l'Eau à destination d'Alger.
En 1835, un territoire de plus de 3 000 hectares, connu sous la dénomination de La Rassauta fut attribué au prince de Sviatopolk Rast de Mir Mirsky, issu d'une vieille famille noble de Lituanie, qui avait été chassé de son pays par la révolution polonaise. Obligé d'emprunter plus de 130 000 francs aux maisons Sachet et fils d'Alger et de Toulon, le prince de Mir dut rétrocéder sa concession dès 1843. Plusieurs créanciers se présentèrent alors. C'est un comte espagnol, Manuel de Azzonis Antes Melgazzo del Valle San Juan, qui put, à son tour, acquérir le domaine. Pourtant, dès le 19 septembre 1846, l'Administration fut amenée à reprendre possession de la "ferme de la Rassauta", après avoir partiellement indemnisé les créanciers.
Parallèlement à ces essais infructueux de colonisation par grandes concessions privées, l'Etat affecta en pleine propriété-à l'initiative du général Bugeaud (dont la casquette fit, en partie, la célébrité) -des terres plus ou moins marécageuses à une tribu indigène, les Aribs. Ceux-ci s'étaient révélés de fidèles et précieux auxiliaires pour les troupes françaises. Mais le caractère nomade des tribus empêcha la réalisation d'un centre indigène.
Dès les premières années qui suivirent l'expédition française de juillet 1830, de nombreux Espagnols s'expatrièrent vers l'Algérie : ils constituèrent rapidement entre le quart et le tiers de la population européenne installée dans les régions d'Alger et d'Oran.


Très vite, une distinction fut opérée entre les "péninsulaires" (originaires essentiellement des provinces de Valence, d'Alicante et de Murcie) et les "Mahonnais" (c'est-à-dire les Minorquins). Ceux-ci vivaient sur une petite île au passé brillant mais au sol pauvre : aussi étaient-ils naturellement enclins à émigrer. Plusieurs dizaines d'entre eux le firent spontanément
ce fut le cas de mon trisaïeul Michel Villa, grand-père paternel de mon grand-père maternel, qui s'installa dans l'Algérois dès 1832 et y eut son fils aîné (mon arrière-grand-père) en 1836.
Mais l'émigration mahonnaise vers l'Algérois fut essentiellement l'oeuvre d'un homme : le baron Augustin de Vialar, dont Fort de l'Eau conservait le souvenir (son buste trônait sur la place du village, et l'une des principales artères du centre ville, parallèle à la rue de France, portait son nom).
Le baron de Vialar était un aristocrate français, légitimiste c'est à dire partisan de la branche aînée des Bourbons, celle qui, en la personne de Charles X, fut chassée du pouvoir par la Révolution de 1830 ("Les trois Glorieuses"). Ayant démissionné de son poste de procureur du roi à Epernay, il débarqua à Alger en 1832 et y acquit, en trois ans, seul ou avec son ami Max de Tonnac, des terres dans l'Algérois sur lesquelles il se promettait de taire venir des gens de chez lui, de Gaillac dans le Tarn. Membre influent de la Société Coloniale, il fut dépêché par celle-ci à Paris en 1835 pour défendre la colonisation libre. Au retour de ce voyage, des vents contraires l'obligèrent à débarquer à Mahon, où il retrouva l'un de ses amis, Don Costa, secrétaire à la police du gouverneur de l'ile. Vialar et Costa organisèrent un véritable réseau migratoire. En quelques années, plusieurs centaines de familles mahonnaises débarquèrent à Alger et trouvèrent rapidement du travail dans la ville et dans les propriétés alentour. Le baron de Vialar en accueillit plusieurs, comme métayers, sur son domaine de Kouba.
Ces mahonnais bénéficièrent rapidement d'une réputation d'honnêteté, de sobriété et de travail, qui les fit apprécier par les autorités coloniales françaises. Leur succès attira de nombreux compatriotes.
A la fin de 1845, plusieurs Mahonnais, parcourant la région de La Rassauta, furent frappés par les possibilités de ces terres. Ils demandèrent, par l'intermédiaire du maire d'Hussein Dey, la concession de parcelles qu'ils s'engageaient à mettre en culture dans un délai de trois ans, à condition que l'on octroie à chaque famille 800 Francs et la possibilité de construire une petite maison. Le baron de Vialar intervint à nouveau ; il écrivit le ler Mars 1847 au ministre de la Guerre en attirant son attention sur l'avantage d'installer ces familles mahonnaises sur la Rassauta
"...La population agricole des environs d'Alger se compose principalement de Mahonnais. Ils ont quitté en grand nombre leur île avec leurs femmes, leurs enfants et ont peuplé et cultivé presque tout le massif d'Alger... Plus acclimatés, plus sobres et plus habiles dans la petite culture, les Mahonnais ont trouvé le moyen de vivre dans l'aisance sur les propriétés des autres Européens et de leur payer des fermages assez élevés... Environ cinquante chefs de famille habitant depuis plusieurs années en Algérie, tous cultivateurs acclimatés, tous fermiers gênés par le prix très élevé des terres qui leur sont louées, demandent une concession à l'Administration. Ils sollicitent d'être placés aux mêmes conditions que les concessionnaires des autres villages, au Fort de l'Eau, près de la Maison Carrée, sur l'ancienne ferme de La Rassauta...
Ce serait la première fois, peut-être, qu'un village agricole serait fondé en Algérie dans des conditions assurées de succès...".
Et le baron de Vialar termine son plaidoyer par une remarque quasi prophétique : "Vous avez deux moyens, Monsieur le Ministre, d'établir une population française en Algérie : c'est d'y faire venir des Français ; c'est d'y rendre Français des Européens qui y sont déjà ou y arriveraient. Ce dernier moyen ne réussira qu'en traitant ceux-ci avec la même bienveillance que les Français de naissance et en ne distinguant les hommes que par leur degré d'utilité et de moralité".
Et il terminait : "Sous ce point de vue et sous celui du progrès agricole, la demande des Mahonnais est une bonne fortune. Je la soumets avec confiance et respect à votre sollicitude éclairée".
Le ministre répondit favorablement à cette demande et, le 19 mars 1847, il donna au Gouverneur Général Bugeaud l'ordre de concéder des terrains à ces hommes.
Mais Bugeaud crut de son devoir de mettre en lumière certaines difficultés qui ne manqueraient pas de surgir rapidement si l'on accordait à des citoyens étrangers les mêmes avantages qu'à des familles françaises. Aussi, la décision ministérielle se résuma-t-elle finalement à ce dilemme : "Les familles mahonnaises seront installées sans subvention, ou on leur refusera la concession".
L'affaire traîna plusieurs mois. Une commission d'enquête fut mise en place. Puis la Révolution de février 1848 à Paris entraîna la chute de la Monarchie de juillet et l'instauration de la Seconde République. Celle-ci redéfinit la colonisation en Algérie, préconisant la création de "villages départementaux", dont les habitants étaient presque tous originaires du même département métropolitain : par exemple Vesoul-Benian, dont les colons venaient de la Haute-Saône. Enfin, les années 1848-1850 furent pour l'Algérie une période difficile, avec une crise financière et des épidémies qui firent de nombreux morts.
Néanmoins, la ténacité des Mahonnais fut récompensée. En juin 1849, ils furent mis en possession de leurs lots. Chaque attributaire reçut en moyenne un lot à bâtir de 6 ares, un lot de jardin de 20 ares et 2 lots de culture respectivement de 2 et 6 hectares. La concession se complétait de 45 hectares comme terrain communal et pour le cimetière. Le 1 1 janvier 1850, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, et son ministre de la Guerre, d'Hautpoul, signèrent le décret créant le Centre de Fort de l'Eau, comprenant 50 feux et un territoire agricole de 500 hectares. Le 22 Août 1851, le gouvernement érigea La Rassauta en commune de plein exercice. Mais celle-ci avait un territoire mal délimité ; elle fut donc, ultérieurement, amputée de plusieurs centres : Maison Carrée, Maison Blanche, La Réghaïa. Ce n'est que trente ans plus tard, le 2 juin 1881, qu'un décret érigea Fort de l'Eau en commune de plein exercice.

Anecdoctes
Le succès des maraîchers mahonnais à Fort à l'Eau entraîna l'Administration à leur octroyer d'autres concessions à Aîn Taya, La Réghaïa, Rouiba, Alma, Rivet... près de trois cents au total.
La bonne réputation dont jouissaient les Mahonnais dès les premiers temps de leur installation ne se démentit pas. Les archives nationales d'outre-mer précisent que "l'élément espagnol qui entre pour plus de 30% dans la population européenne de l'Algérie ne figure pas pour 5% dans les journées d'hôpitaux".
L'endogamie - c'est à dire la propension à se marier entre eux - restait très forte. Entre 1863 et 1870, sur douze mariages, un seul fut mixte. Sur les 133 naissances recensées à la même époque, le quart fut assuré par les Pons et les Sintès, et un autre quart par les Alzina, les Mascaro, les Cardona, les Tuduri, les Camps, les Mercadal. Je crois savoir que mon arrière-grand père maternel, déjà évoqué, avait dix frères et soeurs. Et comme il était fréquent, à l'époque, d'appeler les filles Marie et les garçons Michel, on en était réduit à marler de "Michel de tonton Pierre" ou de "Michel de tonton Jean". Ou, plus communément encore, d'affubler chacun d'un surnom plus ou moins apprécié. Ainsi, mon grand-père paternel, mort en 1936 à l'âge de 67 ans au cours d'une partie de cartes, et qui se prénommait Antoine, avait pour sobriquer Tony Sires, pour évoquer, paraît-il, sa compétence "majestueuse". Sa femme, ma grand-mère paternelle, qui mourut presque centenaire en 1976, se prénommait Magdeleine et était surnommée Nene Brou (prononcer "Nêne Brow"), c'est à dire celle qui fait du bon brouet, du bon potage. Mon grand-père maternel, Michel Villa, né le 13 février 1878, qui était mandataire aux Halles, était Michel Boy, c'est à dire non pas le garçon mais la boule, car il mesurait 1,66 mètre et était plutôt trapu. quand à "mémé Villa", Rosalie Gener de son nom de jeune fille, c'était une spécialiste de l'astiquage de sa maison qui était toujours propre comme un sou neuf : d'où son surnom de Zalie Lluente, Rosalie la brillante.
Les traditions mahonnais semblent avoir perduré à Fort de l'Eau pendant plusieurs générations. Dans les années 1920 encore, certains auteurs les distinguent de leurs compatriotes espagnols d'origine péninsulaire par leur habitat ("maisonnettes d'apparence et de réalité proprettes, passées chaque année au lait de chaux"), par leurs habits ("on remarque les Mahonnais dans la rue avec leurs chapeaux pointus ornés de rubans de
velours et d'aiguillctes ou de pompons". Ils ne portent jamais d'espadrilles mais de petits souliers"), par leur nourriture (les mounas, les mantecaos et les ensaimadas), par leur code moral (endogamie, conception de la famille, attachement quasi immodéré à la terre, sens aigu de l'honnêteté- ("la parole d'un Mahonnais vaut largement un écrit") - qui s'accompagne parfois d'une certaine avarice...).
Surtout célèbre par ses cultures maraîchères, Fort de l'Eau compta aussi des plants de vigne : 75 hectares en 1885, 375 en 1902. Mais si l'on évoque, encore aujourd'hui, Fort de l'Eau, non seulement auprès de ses anciens habitants, mais aussi devant des personnes qui ne firent qu'y passer (par exemple certains métropolitains qui y accomplirent tout ou partie de leur service militaire à l'époque des "évènements" entre 1954 et 1962), tous parleront avec nostalgie des brochettes et des merguez qu'ils venaient déguster à la terrasse des différents cafés, en soirée dans la semaine ou le dimanche après-midi en rentrant des plages au nom de corsaires (La Perouse, Surcouf, Jean Bart), petites stations ravissantes, installées dans des criques très déchiquetées, pleines de jardins d'ombre et dont les fêtes chaque année, drainaient tous les estivants du rivage, de la côte est à la Côte ouest. A For de l'Eau, les grillades qui se mariaient si bien avec le rosé bien frappé, se dégustaient avec le pain mahonnais dont l'aspect et le goût sont dans toute les mémoires.
Fort de l'Eau était à la charcuterie et aux brochettes (ah ! la charcuterie Caturla) ce que Montélimar est au nougat !
C'est sur cette bonne odeur de viande grillée que je voudrais conclure ces quelques pages, en espérant qu'elles auront donné envie à tous les Aquafortains qui les auront lues de prendre à leur tour la plume et de rédiger ne serait-ce que quelques lignes pour raconter leur(s) meilleur(s) souvenir(s) de là-bas. Afin que nous puissions publier, d'ici quelques mois, un véritable livre sur Fort de l'Eau, notre village.
Car, comme disait John Dos Passos, "Vous pouvez arracher l'homme au pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du coeur de l'homme".

Jean-Jacques Tur, avec l'aide précieuse de la Princesse Amilakvari (née Marguerite Maye) et Nadine Barbet

Notre adresse : Amicale Aquafortaine du Souvenir
c/o Gilbert Caturla
Clos St Michel
H72 Av. Napoléon Bonaparte
84800 Isle sur la Sorgue
Les pastèques de Fort-de-l'Eau

C'est par un décret du 11 janvier 1850 que Louis Napoléon Bonaparte entérina la création d'un centre de population de 50 feux sur le domaine de la
Rassauta. On attribua à ce centre de population un territoire agricole de 500 hectares. L'ensemble pris le nom officiel de Fort-de-l'Eau.

Le centre ne fut, au début, qu'un groupement de fermes. Mais toutes ces fermes harmonieusement soumises à des travaux d'ensemble, exploitées,
habitées par des familles parentes, de même nationalité, étroitement unies par une forte affection, vont constituer une population rurale, sobre, rustique, laborieuse, exempte des distractions de l'oisiveté et du cabaret.

Une fois les terres agricoles réparties entre les différentes familles, 40 hectares furent réservés à la commune pour un usage commun tel que celui
destiné à faire paître les troupeaux. Ce communal était inutile aux Mahonnais qui n'avaient pas de troupeaux; mais comme il était couvert de broussailles, il servait d'abri à de nombreuses bandes de chacals. Le
voisinage de ces canidés, très friands de fruits, rendait impraticable la culture des pastèques et des melons.


L'inspecteur de la colonisation Roy proposa, dans un de ses rapports trimestriels, de diviser cette superficie restante en 23 lots, de 2 hectares chacun, qui seraient tirés au sort par tous les colons. Le 22 août 1852, le
Secrétaire général de la Préfecture d'Alger se rendit au Fort-de-l'Eau pour y procéder, par la voie du sort, à la répartition des terrains provenant du communal et qui avaient été divisés en 23 lots d'une contenance chacun
d'environ 2 hectares. Les 23 bénéficiaires furent :
Tuduri, Joseph
Gener, François
Segui, Laurent
Sintès, Joseph
Segui, Ramon
Barbet, Joseph
Alzina, Antoine
Pons, Thomas
Mascaro, Juan
Gurnes, Bernard
Pons, Joseph
Sintès, Laurent
Serra, Antoine
Tuduri Antoine
Sastre, Joseph
Laurent, Joseph
Marquez, Mathieu
Coll, Jean
Salor, Jean
Pons, Barthélemy
Marquez, Dominique
Alzina, Gabriel
Camps, Mathieu

(Sources: http://gallica.bnf.fr/ - "Bulletin de la Société de Géographie d'Alger - 1909 - page 319 et suivt.)

j'ai 35ans j'habite a algerie un fils noble de famille et modeste je cherche une fille pour se marier a fin de confiance et de la sècuritè sont la clè du bonheur
benyamina aissa - travaille - algeria, Algérie

11/04/2012 - 30317

Commentaires

merci
myriam - fort de l'eau, Algérie

04/10/2011 - 20266

Commentaires

RENSEIGNEMENT DE FAMILLE
pons barthlemy - blida, Algérie

17/11/2010 - 8432

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