Oran - A la une



Kiosque arabe
[email protected]/* */Lorsque les Algériens étaient encore à l'âge de raison, les plus cyniques d'entre eux aimaient à répéter ce dicton en forme d'invocation : «Que dieu multiplie le nombre de débiles pour que les malins en profitent.» Comme la divine providence se faisait tirer l'oreille en quelque sorte, les malins ont décidé d'agir, sans attendre le Ciel, mais tout en se réclamant de lui. La société produisant de plus en plus de gogos, il suffisait d'inventer n'importe quoi, avec un habillage religieux. Les mystificateurs n'ayant plus besoin de se cacher dans les rouages du pouvoir, puisque c'est désormais inutile, et l'école faisant le reste, le charlatanisme a grandi et prospéré. Comme l'attraction du levant était devenue quasiment irrésistible et pour cause, on a vu le surnaturel s'imposer et supplanter le réel et les thérapies magiques tailler des croupières à la médecine moderne. Pire : les praticiens de santé eux-mêmes, découragés ou sous influence, ont été surpris à orienter leurs «patients» vers des filières de traitements, régénérées par la piété ambiante. Comme ils piochent dans la modernité là où ça rapporte, et empruntent là où ils trouvent leur intérêt, ils ont utilisé l'outil de la télévision, largement disponible grâce aux pétrodollars. On connaît tous la tristement célèbre chaîne Al-Haqiqa, où se font la guérison à distance et en direct, lancée par le sulfureux cheikh Mohamed Hachimi.Ce charlatan, inventeur de la roqia télévisuelle, a eu son moment de célébrité en 2007 lorsqu'il a été refoulé à l'aéroport d'Alger, au moment où il venait inspecter ses agences locales. Rien de plus simple, en effet, que de proclamer qu'un virus est indésirable sur le territoire national, à défaut de pouvoir ou de vouloir s'en prémunir plus efficacement que par l'exorcisme. Un an plus tard, en 2008, un quotidien national annonçait l'existence à Relizane d'une «clinique de la roqia», où officiait un certain cheikh Belahmar, qui se fera aussi un nom dans le football. Cette clinique très courue avait reçu en consultation, selon notre confrère, des personnalités algériennes (1) et étrangères, de premier plan et il avait cité quelques noms connus, sans recevoir de démentis. Ce qui aurait été inutile et même préjudiciable, au demeurant, puisque nier qu'on a commis un acte qui n'est pas contraire à la religion, ce serait se mettre en position de suspicion au regard de la société. En 2015, Belahmar a échappé, par un miracle dont il n'est pas le seul responsable, à la prison après le décès d'une de ses «patientes», victime d'une séance d'exorcisme (2). Ce n'est qu'en décembre dernier, après plusieurs années d'exercice tranquille de ce fructueux négoce, qu'on découvre que la clinique de Belahmar était illégale (3), et qu'on l'a fermée.Moins chanceux, au sens étymologique du mot arabe, que Belahmar, semble-t-il, le créateur du remède contre le sida a vu sa carrière brutalement stoppée par le ministère”? du Commerce. C'est à croire qu'il a été abandonné par «Rahmat Rabi», la miséricorde divine, lui qui s'était ingénié à donner ce nom à son «médicament», présenté administrativement comme complément alimentaire. Bien sûr, comme on est en période de surproduction de gogos, et d'hyper-activité des charlatans en tous genres, il s'est trouvé des pharmaciens pour le vendre et encore plus de clients pour l'acheter. Ceci dit, il faut croire que nous sommes de simples imitateurs en la matière, des imitateurs plus ou moins maladroits, mais qui savent que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Si l'inventeur de «Rahmat Rabi», ou RHB pour faire plus court, a exploité le créneau du diabète, ce n'est pas seulement parce que l'Algérie est un vrai filon en la matière. Il savait aussi que pour passer pour un vrai surdoué, voire un précurseur, il faut éviter les sentiers battus, en inventant ce que les autres ont déjà découvert. C'est aussi à cause de ces maudits Egyptiens qui ont presque tout inventé, des pyramides à Abdelhalim Hafez, en passant par le monothéisme, et donc pas question de penser au sida, par exemple.Le sida qui fait des ravages en Égypte, malgré les barrages religieux, les incantations et les unions proclamées halal, et conformes à la Charia et aux bonnes mœurs islamiques. En février 2014, c'est l'armée égyptienne, elle-même, qui s'est chargée d'annoncer qu'elle avait découvert un remède contre le sida. Le maréchal Sissi n'avait pas encore été élu Président, et l'inventeur, encensé de toutes parts, était un certain Ibrahim Abd-Al-Atti, mi-général mi-prêcheur de télévision. Outre le sida, «l'appareil de guérison complète» ainsi nommé soignait aussi l'hépatite C, dont l'Égypte est aussi affligée, au même titre que ses autres plaies modernes. Près de trois ans après, l'Égypte reste un gros consommateur de Sovaldi, le remède le plus cher au monde (4), le seul médicament reconnu efficace contre l'hépatite C, quant au sida, on en parlera plus tard. Ironie du sort, l'inventeur du Sovaldi est un juif égyptien, expulsé d'Égypte avec ses parents, alors qu'il était enfant, dans le cadre du conflit qui dure. C'est à Khaled Mountasser, médecin égyptien, chroniqueur et grand pourfendeur des charlatans et faux dévots, que nous devons cette précision. Il est vrai que dans ces pays où les pigeons pullulent, les chasseurs sont rois.A. H.(1) Le Quotidien d'Oran avait notamment cité Abdelaziz Belkhadem qui était encore quelque chose à ce moment-là , je crois, et dont les convictions affichées ne détonnaient pas dans ces milieux.(2) Un cousin émigré s'est fait diagnostiquer par un raqi parisien deux hôtes en théorie indésirables, l'un musulman et l'autre juif. Il a demandé au guérisseur de le débarrasser uniquement du musulman, estimant qu'il était l'ennemi le plus dangereux. Très mauvais choix, puisque quelques années plus tard, l'occupation a fait de son organisme un territoire aussi colonisable que la Cisjordanie.(3) Bien comprendre la distinction : faire quelque chose d'illégal, en privé ou en public, ne vous prémunit pas nécessairement contre le glaive de la justice, mais peut vous en préserver, avec l'aide de Dieu et ses créatures. Ce qui est plus dangereux, de nos jours, c'est de commettre un acte illicite, ce qui vous met immédiatement en posture de condamné, sans l'appel à la miséricorde divine.(4) Le Sovaldi est fabriqué en générique par un laboratoire algérien, et donc à un prix moins élevé qu'en France. Le directeur du laboratoire, Rachid Kerrar, l'aurait proposé récemment aux autorités françaises concernées qui lui ont opposé un refus.

Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)