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Le football professionnel algérien



Le football professionnel algérien
Par Belkacem Lalaoui«Parmi nous, personne ne doit être le meilleur ; s'il y en a un, qu'il aille vivre ailleurs.»(Héraclite)Près d'une dizaine d'années après l'instauration du football professionnel, certains problèmes de fond, posés par l'interprétation et l'explication du professionnalisme, continuent de susciter des interrogations par divers acteurs et institutions publiques et privées. On assiste, en effet, à un débat radicalement critique et sans fin, par médias interposés, sur les grandes faiblesses de notre foot professionnel, où s'affrontent préjugés et jugements de valeurs, qui dépassent souvent les bornes habituelles de la simple controverse.Pour l'observateur extérieur, une telle «querelle» chargée de passions et s'adossant souvent à des modes d'argumentations riches et forts diversifiées pour certains, et sur une analyse partielle et partiale pour d'autres, prend l'allure d'une véritable «petite guerre» à peine déguisée. C'est une «querelle définitionnelle» destinée à départager, dit-on, les prétentions de nos nombreux «experts» du sport de haut niveau professionnalisé, qui n'arrivent pas à dégager un pronostic net : sur ce que devrait être la mission du foot professionnel, en termes de buts, de finalités, de valeurs, de significations, d'images, de représentations sociales, et même de morale. Néanmoins, et bien qu'elle continue de susciter des réactions passionnées, il est, somme toute, bon qu'elle se soit produite.En dépit de son intensité émotionnelle fortement exacerbée, elle a d'une certaine façon clarifié l'atmosphère, en mettant au grand jour un foot professionnel vague, fragmenté, désorganisé, générateur de violence et de corruption, porté à certaines exagérations et à certaines mesquineries ; qui renvoie aux formes spécifiques d'organisation et de fonctionnement de la société qui l'environne. Un foot professionnel stérile se parlant à lui-même, qui n'a ni projets, ni objectifs, ni programmes, ni conviction profonde, et qui dérive à vue.En effet, comment peut-on décrire avec justesse et «objectivité» un foot professionnel, qui ne fonctionne pas selon les lois du marché et celles du spectacle, et qui a tendance à produire certaines maladies sociales majeures comme la tricherie, la violence, le dopage et la corruption, à l'état pur ' Comment peut-on comprendre la nature intérieure et extérieure d'un foot professionnel, qui fait preuve de peu de fair-play et de loyauté, et qui a fini par faire voler en éclats les véritables valeurs sportives traditionnelles : l'ouverture à autrui, la tolérance, la solidarité et le respect de l'autre ' Comment peut-on, encore, comprendre un foot professionnel, dont la pratique choque la raison et scandalise la conscience morale nationale ' Aujourd'hui, il faut bien le dire, on assiste à un foot professionnel peu émancipateur, qui ressemble beaucoup plus à un instrument privilégié de propagande, à une fabrique d'illusions, qu'à un sport de haut niveau basé sur la compétitivité et la productivité. N'ayant aucune vocation, il est loin de rendre au peuple la gaieté et l'enthousiasme, de majorer son ardeur et son énergie, de renforcer son unité nationale et de fortifier son esprit patriotique. Il ne fabrique pas, non plus, «l'athlète héros», cet être tout particulier, synonyme de repères identificatoires et d'orgueil pour les jeunes et les moins jeunes. Bien au contraire, depuis son instauration, il ne fait que renforcer les tensions sociales déjà existantes et des frustrations de toute nature. Les causes profondes de cette situation d'échec sont à rechercher dans le climat délétère, qui règne au sein de nos clubs «professionnels». Des clubs qui sont devenus de simples structures «marchandes» improductives, des «immeubles sans fondations», des «petites seigneuries», incapables de promouvoir de nouvelles qualités de jeu et de fournir des valeurs éducatives à la jeunesse. En rupture totale avec leur environnement, ce sont des clubs qui ne cessent de se dégrader. Loin d'être des supports privilégiés de l'échange social, ils sont devenus des lieux d'inquiétude, de malaise, voire d'angoisse, parce que agitant sans cesse la menace du désordre et de l'effondrement des règles. Force est d'admettre qu'avec une telle instabilité chronique qui règne au sein de l'ensemble de nos grands et petits clubs, on s'achemine droit vers un foot professionnel qui ne pourra jamais remplir ses fonctions intégratrices essentielles, parmi lesquelles on peut citer : la fonction éducative, sociale et culturelle, la fonction de dérivation de la violence et de diminution de la tension sociale, la fonction de la fête sportive, etc. C'est ce que nous allons essayer d'évoquer, sommairement, dans ce qui suit.Le foot professionnel algérien assume-t-il sa fonction éducative, sociale et culturelle 'Le football professionnel est l'activité de compétition dominante au niveau mondial. Fondé sur des règles universellement acceptées, c'est un «jeu profond», pour parler comme Clifford C. Geertz, qui nous offre à lire les caractéristiques saillantes d'une culture, en faisant réapparaître ce qui reste ordinairement caché, l'invisible de la communauté. C'est un véritable «jeu profond», qui rend tout à coup visibles l'existence et le visage d'une communauté nationale. Aussi, pour qu'il puisse exercer sa fonction éducative, sociale et culturelle, et jouer un rôle phare dans la constitution du lien social, le foot professionnel doit être éminemment éducatif. Malheureusement, aujourd'hui, on peut soutenir qu'une explication intellectuellement satisfaisante du foot professionnel algérien est impossible à réaliser. Car, nous sommes en présence d'une pratique de société, qui semble dépasser toute analyse rationnelle. Vouloir, par conséquent, affirmer que le foot professionnel algérien remplit ses fonctions spécifiques, c'est se contenter d'une simplification grossière et tomber dans la bouffonnerie. Quel regard peut-on alors porter sur l'instauration récente du foot professionnel, et de ses implications éducatives, sociales et culturelles au sein de notre société ' Tout d'abord, on observe que c'est un foot professionnel qui a du mal à s'implanter, parce que amputé au départ d'une «culture sportive de base» que fabriquaient, jadis, les associations sportives scolaires dans l'espace réservé et protégé de l'institution Ecole.Cette «culture sportive de base», qui participait à développer une certaine manière de jouer, et à partir de laquelle émergeait une tradition stylistique dans le jeu, a totalement disparu.Aujourd'hui, et quelles que puissent être leurs divergences, la plupart des éducateurs sportifs s'accordent à penser que l'Algérie ne pourra se forger un grand destin dans le domaine du sport en général et du football en particulier que dans la mesure où elle se réappropriera de façon créatrice sa propre «tradition de jeu», qui tire ses racines profondes dans le système sportif éducatif. C'est pour cela qu'il faut transformer la culture sportive algérienne à la base afin de donner le goût de la compétition sportive à la jeunesse dès l'école, et lui permettre ainsi de construire son propre «style de jeu». Car il faut bien savoir qu'une «philosophie de jeu» dans le foot professionnel moderne ne peut apparaître dans une société où le «jeu sportif», comme un mode d'expression corporelle et d'accomplissement de soi, est très peu favorisé dans nos institutions d'éducation et de formation. Une «philosophie de jeu» ne peut apparaître dans une société où le «jeu sportif», comme spécialisation des aptitudes et des capacités, comme apprentissage de la règle et de la mixité sociale et comme espace de liberté, de spontanéité, d'ingéniosité et d'initiative, ne fait pas partie de l'éducation du citoyen. Bref, une «philosophie de jeu» ne peut apparaître dans une société où «l'esprit de jeu» (le respect de la règle, la droiture, le fair-play, etc.) est totalement absent.Comprendre la spécificité ou la singularité du foot professionnel, comme un modèle compétitif fondateur d'une «philosophie de jeu», c'est le saisir à travers le système de relations qu'il entretient avec la société, qui lui donne son sens et son assise. Car une «philosophie de jeu» porte toujours la marque d'une «culture sportive de base», secrétée par un type de société, et incarnée dans les stéréotypes d'un imaginaire collectif», qui impose son empreinte au jeu et au spectacle par un ensemble de vertus déterminantes : une gestualité singulière, l'efficacité du geste technique, les feintes malicieuses, la finesse des dribbles, l'intelligence tactique, les passes léchées, le sens du défi, la ruse, etc. C'est ainsi, par exemple, que le style de jeu «géométrique et créatif» du Barça (le FC Barcelone), ou encore le style de jeu «géométrique et discipliné» allemand, reflètent deux types de «cultures sportives de base» enseignées dans diverses institutions éducatives et encadrées par de nombreuses générations d'éducateurs sportifs. Ce sont deux savoir-faire sportifs, deux compétences sportives, deux modèles sportifs, qui participent à édifier deux «styles de jeu» différents ; que deux communautés ayant des visions différenciées du monde se donnent d'elles-mêmes et qu'elles souhaitent donner aux autres.Le style de jeu «géométrique et créatif» du Barça exprime la «catalanité» (le sentiment identitaire catalan) ; autrement dit, une certaine vision du monde, une manière de faire usage de son corps et de se mouvoir, une sensibilité collective, le sens profondément ancré du défi, l'orgueil national extrême d'une communauté, etc. Le style de jeu «géométrique et discipliné» allemand nous offre, lui, à lire les caractéristiques singulières d'un football offensif, puissant et dominateur, recherchant sans cesse l'exploit. Il dénote une attitude offensive à l'égard de l'existence et exprime une philosophie de l'action conquérante qui donne accès, selon l'idée wébérienne, à une forme de nouveau salut : la performance (le désir d'émancipation et de progrès). Il s'agit, là , de deux «styles de jeu» progressivement modelés par des schèmes de pensée et d'action, qui font clairement apparaître une profonde connivence entre la particularité stylistique du joueur et celle de la communauté : c'est-à-dire une «manière de jouer, de vivre et de se représenter l'existence».Cette connivence n'existe pas au niveau des équipes de nos grands clubs. On ne la perçoit pas dans la dynamique de leur jeu et dans le comportement de leurs joueurs. Il n'y a pas actuellement un savoir-faire sportif local, soutenu par un système de formation sportif complet, novateur et puissant, qui pourrait imprimer et consolider une tradition stylistique de jeu au niveau des équipes de nos grands clubs. Ces dernières se considèrent comme de simples «équipes de sociétés commerciales» : elles ne se sentent nullement liées à leurs communautés et ne tentent pas de l'exprimer dans leurs efforts et leurs manières de jouer. Nos clubs utilisent plus leur temps à régler leurs conflits intérieurs qu'à imprimer à leurs équipes un «style de jeu» particulier.C'est en ce sens que certains spécialistes considèrent que le football professionnel algérien actuel ressemble étrangement à un curieux cas d'aliénation et de dépossession.En réalité, il n'a pas fait l'objet d'une intégration adaptée à la culture algérienne. C'est un foot professionnel d'une construction bizarre, qui manque terriblement de racines : il ne peut fonder, par conséquent, aucun «style de jeu», encore moins une «philosophie de jeu». Pour toutes ces raisons, le football professionnel algérien n'assume pas sa fonction première éducative, sociale et culturelle.Le foot professionnel algérien assume-t-il sa fonction de dérivation de la violence et de diminution de la tension sociale 'Il n'est pas faux d'affirmer que depuis l'introduction du football professionnel la violence dans les stades s'est confortablement installée et accrue. En effet, et au grand désarroi des responsables, les rencontres de football aussi bien amateur que professionnel produisent, désormais, beaucoup d'affrontements violents et cultivent de profonds sentiments d'hostilité vive et de haine destructrice entre les groupes de jeunes supporters. Les Algériens découvrent que la violence, cet instinct de destruction des hommes entre eux, a envahi leur sport favori. Il n'y a pas un jour où il ne paraît pas un article calembour sur la violence dans le sport, et plus particulièrement dans le football.Abondamment commentée et stigmatisée dans les journaux, la violence survenue ces dernières années à l'occasion de matches de football semble être le fait de jeunes exclus, qui ont le sentiment d'être des «laissés-pour-compte». Pour autant, il faut rester prudent, il n'y a pas d'études approfondies, et il faut le regretter, concernant la description et l'analyse de la violence dans le foot professionnel telle qu'elle s'exprime en Algérie : son mode d'organisation, son style de participation au spectacle, les sentiments qui lui sont associés et ses relations avec le monde du football.Nos experts éprouvent les plus grandes difficultés à produire et à communiquer une analyse différenciée du phénomène violence dans le football-spectacle. Tout ce que l'on sait, aujourd'hui, c'est qu'on a affaire à une violence régulière, qui n'a pas d'objectifs et où tout et n'importe quoi peut en devenir physiquement l'objet, c'est-à-dire une cible. C'est une violence en excès, qui fonctionne selon une culture de l'affrontement brutal, des logiques «d'honneur» et de «clans». Elle n'est porteuse d'aucun message et ne vise que la poursuite et l'accroissement d'elle-même. Elle exprime un malaise social profond et une forme de résistance symbolique. De ce fait, elle participe à maintenir un état permanent de rivalité et d'hostilité entre les supporters des grands clubs, avec des comportements primaires, transgressifs et incontrèlés, qui laissent clairement apparaître un brusque retour aux instincts d'agressivité et au chauvinisme grégaire.En perpétuant les haines entre les clubs et l'animosité entre les différentes localités, cette forme de violence ne fait que refléter une certaine décomposition de la sociabilité et de la solidarité au sein de notre société. Elle favorise l'éclosion de comportements habituellement refoulés ou réprimés, qui participent à développer une conception ethniciste de l'identité entre les différents groupes de jeunes supporters.En effet, être supporter de foot en Algérie c'est appartenir à une communauté spécifique à laquelle on s'identifie (par exemple, le MCA, le CRB, l'USMA, l'ESG, l'ESS, l'ASMO, le MCO, le WAT, la JSK, le CAB, le NAHD, le DRBT, etc.), et où les liens communautaires tendent à remplacer progressivement les liens contractuels. Dans cette perspective, on observe que les phénomènes de violence autour du foot professionnel algérien sont, pour l'essentiel, dus à des jeunes supporters qui s'identifient passionnément avec le club et, partant, la ville ou la région que celui-ci représente. Les conflits entre clubs tendent à être «légitimés» par des rivalités géographiques et historiques. Il est à regretter que la FAF, à l'instar des autres fédérations de football de par le monde, n'a pas cru bon d'installer un observatoire national des comportements violents liés aux matches de football (un observatoire de la violence dans le spectacle football), qui lui aurait permis d'identifier les clubs en difficulté et analyser les incidents.Aujourd'hui, si la violence est aussi répandue dans nos stades, c'est qu'il y a une «tolérance» traditionnelle dans notre foot professionnel. Il y a une absence d'actions de prévention et de sensibilisation à caractère éducatif en direction des jeunes supporters. Les projets éducatifs concernant les supporters violents sont rudimentaires ou inexistants. Si bien que le foot professionnel algérien est, aujourd'hui, une sorte de jungle avec beaucoup de «Tarzans», et où il faut s'attendre à mille périls. Il révèle, au grand jour, de multiples tensions, contradictions et effets de pouvoir qui le traversent. C'est un foot professionnel sans ordre et sans règle, qui est en voie d'enfanter un supportérisme radical, prènant l'action violente pour légitimer les rivalités régionales, comme dans l'exemple de l'ancienne Yougoslavie, où les oppositions entre les groupes de supporters se sont progressivement déplacées et centrées sur les rivalités identitaires entre Serbes, Croates et Bosniaques. Chaque groupe de supporters utilisait la violence dans son vocabulaire pour stigmatiser l'autre communauté spécifique. La victoire ou la défaite étaient perçues comme les symboles de la supériorité ou de l'infériorité d'une ethnie. Les clubs étaient devenus les porte-parole d'identités menaçantes.Cette forme d'extrémisme sportif pleinement assumée et propagée dans les stades avait pour fonction essentielle de permettre aux dominants de conquérir et de conserver leur dominance. Il n'est peut-être pas exagéré de dire que tous les ingrédients sont aujourd'hui réunis pour que le football professionnel algérien s'achemine vers une telle forme d'extrémisme sportif.Le foot professionnel algérien remplit-il sa fonction festive 'Il se déroule toujours, selon le sociologue P. Yonnet, deux types de compétition à l'occasion des grands évènements sportifs : une compétition socle, première, mesurable, réglée, et une compétition seconde, non réglée, dont l'enjeu est la ferveur des foules. Il y a donc deux genres de champions : les champions de l'épreuve sportive et les champions de la ferveur populaire. En Algérie, les champions de la ferveur populaire (les spectateurs et les supporters) sont de moins en moins nombreux, parce que les champions de l'épreuve sportive (les athlètes) ne font plus rêver. Or, quand la ferveur populaire qui soutient le spectacle sportif est absente, celui-ci dépérit.Ce qui est le cas, aujourd'hui, du foot professionnel algérien ; un sport-spectacle qui n'a pas la grande ferveur du public, parce qu'il n'est pas en mesure d'entretenir la fête sportive : ce lien social par excellence, qui assure la cohésion et la fraternité de la communauté nationale.En effet, et au-delà de son exploitation ouvertement politique, voire politicienne avec une nuance péjorative de manipulation, le foot professionnel est avant tout objet festif, réjouissance collective, source de joie intense ; qui tranche avec la vie ordinaire et déroge plus ou moins à ses interdits. Avec l'intensité des passions qu'il suscite, le foot professionnel est un sport-spectacle dont le sens de la fête s'ancre dans une culture populaire de la joie, mettant en liesse toute une population qui s'exprime de façon charnelle.Dans la culture algérienne, où l'écrasante majorité du public est faite d'hommes jeunes enthousiastes, le foot professionnel appelle à un mode de fonctionnement particulier ; qui doit être plein d'enthousiasme, de ferveur et de plaisir, pour pouvoir débrider et purger les passions du plus grand nombre. Car, dans un match de football, les jeunes supporters algériens, passionnés et connaisseurs, ne se satisfont pas d'être simplement les observateurs «passifs» des actions des joueurs, ce qui reviendrait pour eux à être inexistants. Au contraire, ils s'efforcent d'imiter les joueurs, de s'engager dans leurs actions, de participer mimétiquement au spectacle par une dépense corporelle festive et d'entrer ainsi dans la compétition d'une façon excessive et théâtrale.Par ce type de comportement, les jeunes supporters sollicitent en quelque sorte une quête de plaisir. C'est pour cela que la fête sportive forme un des rares moments joyeux dans nos sociétés, où les hiérarchies de l'ordre social se défont et où la culture dominée devient dominante. Elément primordial de la vie sociale, la fête sportive met en évidence les rouages de l'existence sociale en montrant ce qu'elle a de factice, de mensonger, d'injuste. C'est un temps de déviance qui permet à l'homme de sortir de l'ornière de la vie quotidienne.En rompant la monotonie de l'existence, la fête sportive est un lieu d'observation pertinent pour appréhender une structure sociale, un système culturel. C'est un magnifique instrument de pédagogie pour amorcer la rénovation, remettre à neuf la société, la purifier, la renouveler, lui permettre un nouveau départ, lui insuffler une nouvelle jeunesse. Il s'agit d'une expérience affective singulière où la société tout entière vit le mythe et le rêve. C'est le moment où la culture populaire se moque de la culture «sérieuse» officielle. Elle la ridiculise, la raille, l'humilie. A quelque époque qu'on se place, la fête sportive remet régulièrement en contact les hommes qui sont dispersés matériellement ou psychologiquement : «Elle vient parfaire la socialisation des hommes. En donnant l'occasion à l'homme de se projeter sur l'autre, elle est conditionnée par une situation d'ensemble, qui se caractérise par le désir de vivre quelque chose en commun» (Durkheim). Elle participe à actualiser périodiquement la continuité d'une conscience collective, en remettant à neuf le mécanisme subtil des rapports sociaux. Elle est à la fois subversive et joue en même temps, contradictoirement, un rôle d'intégration sociale en fournissant le ciment d'une collectivité donnée.En théâtralisant les valeurs fondamentales qui façonnent une société, elle permet aux individus de faire l'expérience de la vie ensemble. Or, aujourd'hui, le football professionnel algérien, son incohérence fondamentale et dans son développement pervers, ne participe pas activement à promouvoir la fête sportive. Les clubs de football algériens ne se sentent pas associés aux destins de leurs localités, de leurs villes et de leurs régions, dont ils expriment l'imaginaire collectif. Et chose étonnante encore, on ne sent nullement la volonté des décideurs politiques de restaurer cette ambiance festive perdue : ce minimum culturel partagé fait d'émotions et de transgressions, qui scelle une commune appartenance.En conclusion, la société algérienne, comme toute société, a besoin de se réunir et de faire l'expérience d'être ensemble. De ce point de vue, le football professionnel, comme sport-spectacle investi d'une valeur éducative, se présente comme étant une activité culturelle susceptible de promouvoir le vivre-ensemble. Il se définit par cette aptitude à rapprocher et à unifier, à mettre en réserve la violence, à purger les passions collectives et à promouvoir la fête sportive. En ce sens, il ne peut se développer harmonieusement au sein de la société algérienne que lorsqu'il s'attellera à assumer pleinement toutes ses fonctions intégratrices essentielles.



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