Algérie - Traditions orales

Littérature populaire d’arabe dialectal



Littérature populaire d’arabe dialectal


Les parlers traditionnels de l'arabe dialectal -tout comme les parlers berbères - sont depuis très longtemps le mode d'expression d'une vaste et riche littérature populaire orale dont l'audience est beaucoup plus large que la littérature classique qui était principalement le fait des populations urbaines de niveau social aisé les interférences sont multiples entre les thèmes d'inspiration arabe et les thèmes Berbères


Les parlers traditionnels de l'arabe dialectal -tout comme les parlers berbères - sont depuis très longtemps le mode d'expression d'une vaste et riche littérature populaire orale dont l'audience est beaucoup plus large que la littérature classique qui était principalement le fait des populations urbaines de niveau social aisé les interférences sont multiples entre les thèmes d'inspiration arabe et les thèmes Berbères
Les genres développés dans ces littératures orales sont très divers : poésie déclamée (medh ) dans les marchés (souk) , contes épiques , élégies etc …. Récités dans des assemblées , fêtes , recits boqala et qacidate etc….. conservés dans les tradition ,et dont les femmes en sont les principales gardiennes de ce patrimoine culturel . Les légendes historiques fabuleuses ou hagiographiques constituent l'univers principal de la prose déclamée alors que la poésie (chiêr) est constituée par les chants épiques , des poèmes religieux , des chants d'amour , de joies et de peines , d'exaltation , de l'ouvrage et du combat pour la dignité humaine . D'une manière générale , l'ensemble de cette littérature orale , peut se diviser en deux grandes parties :
La première apparaît constituée par un ensemble d'œuvres dont l'origine est très ancienne : personnages légendaires d'anciennes divinités désacralisées , aventures mythiques à demis – oubliés , souvenirs plus ou moins mythifiés d'évènements historique fondamentaux etc…l'autre partie de cette littérature orale distincte , peut être considérée comme un littérature de circonstance : exaltation des pensées , des joies et peines actuelles de chaque groupuscule social. Cette littérature orale si diversifiée , est évidemment en continuelle évolution.

Cette littérature orale sera tout au long des siècles témoin des bouleversements vécus par le Maghreb et l'Algérie en particulier , ou les longues années de luttes et d'incursions , ou confessions et ambitions se disputèrent la suprématie , les Turcs étendant leur domination de la Tunisie jusqu'à l'Algérie , alors que le Maroc s'efforçait de limiter les prétentions espagnoles. Mais tous les trois pays connurent la présence française, et l’Algérie de façon toute particulière qui la marque durablement. Mais l'oppression aura insufflé aux générations montantes la passion de la liberté , le bannissement, le supplice et l'avilissement de l’ordre colonial s’abbattant systématiquement sur tous récalcitrants n’ayant fait qu’exalter davantage leur dignité , et quoique, ainsi malmenés, séparés , isolés , baffoués, durant des décennies et décennies , leurs valeurs promises à l’étouffement demeurèrent néanmoins vivantes, précieusement sauvegardées et repercutées au sein des tribus , des familles , dans les montagnes , dans les plaines , au delà des étendues de sables et partout à travers le pays, les vertus de l’oralité ancestrale réactivée y étant pour beaucoup dans l’entretien de la flamme tenace d'un destin contrarié mais chargé d'espérance . De la sorte, la culture de leurs dominateurs, loin de favoriser l’assimilation ou le dépérissement de la culture populaire taxée d’« indigène autochtone » , contribua , en fait, indirectement, à mettre en relief les éléments essentiels qui lui manquaient .

Ainsi, par exemple, avant la colonisation, la poésie populaire traditionnelle qui reflétait naturellement des pans de la vie communautaire d'antan , chantait surtout les rivalités entre tribus , les prouesses ou les vertus d'un saint…les bouleversements qui allaient suivre lui imprimeront une toute autre orientation ,durable et déterminante. Et pour cause: Les années trente du siècle écoulé seront marquées par la parution des premières nouvelles écrites en langue arabe , période à laquelle la poésie orale était au faite de ses "espoirs" parce que , en tant que mode de transmission et de composition spécifique elle , continuait à témoigner d'une situation conflictuelle , d'une réalité douloureuse à laquelle les populations algériennes prêtaient une grande attention. Ce qui a fait dire à des littérateurs spécialistes qu’omettre la tradition orale , dans le contexte de la littérature algérienne pluriforme , serait passer assurément à côte d'un pan essentiel de la culture algérienne et maghrébine,en général.


Depuis des siècles, les meddahs (poètes louangeurs ) , les gouwâlin (diseurs) les bardes , les conteurs et les femmes conteuses ,tout particulièrement, conservent la mémoire du pays et réinventent l'histoire lors des fêtes assemblées , réjouissances populaires et familiales ou les moments de combats et de résistances comme en témoignent les poèmes d'un Cheikh Abdelkader ,d'un Belkheir , d'un Si M'hand U M'hand , etc….
Tout comme non pourrait citer tout autant , les poètes ,aèdes et meddahs mentionnés dans le véritable monument élevé à la gloire de la poésie populaire Maghrébine , par M.C .Sonnek " Chants Arabes du Maghreb" dans son « Etude sur le dialecte et le poésie populaire de l'Afrique du Nord » en trois grands volumes ,( éd. Maspero, Paris 1904) .En habile dialectologue , en fin arabisant et même en poète , le grand orientaliste français étudie de très près de nombreuses qacidas de façon magistrale .(Hizya , El Baloual , Le serviteur du feu , ou "ABD EN – NAR", ce chef – d'œuvre de Youssef Ben Mohamed de la région des Zibans , composé en 1806) .


Dans son œuvre , sonneck rapporte de nombreux poèmes , de nombreux chants ruraux comme ce de Lakhdar Benkhlouf , ou de Ben M'ssayeb de Tlemcen (XVIIIe siecle ) .
" Salam Ala Kahl el Aainin -w- echfar"… Chansons d'amour , chansons religieuses , hymnes au prophète , hymnes aux grands saints (Sidi Abdlekader d'Oran et de Bagdad , Sidi Belkacem de Mostaganem, Sid El houari , patron d'Oran) ,chansons de poétesses femmes , reconnaissables à leur style particulier , évocation des mille et une nuits , ces chefs d'œuvre de la poésie en arabe classique , et aussi la lecture cérémonieuse pleine de ferveur religieuse du Coran , ou de cet cheminement différent , novateur dans la mesure ou l’on assiste à l’introduction , de nouveaux éléments injectés dans la thématique .

Parlant de la tradition orale et de la littérature nationale , l'universitaire Mourad Yelles , spécialiste en la matière , dira tôt que les deux formes coexistent à l'intérieur d'une sphère culturelle et participent donc d'un ensemble socioculturel cohérent , autrement dit un espace culturel éclaté et codifié.. L'adhésion collective à laquelle il se réfère prend le caractère d'une identification spontanée après que la tradition orale ait imposé ses règles et ses sens obligés. produit d'une structure sociale traditionnelle , la poésie orale a connu par la suite un autre hymne , en arabe classique aussi , en l’honneur du Prophète , vu en songe et couvrant de son propre manteau les épaules du barde Mohamed El Bouciri ( décédé en 1290/ 690 de l’Hégire)…Tel est le fonds de culture populaire dont les "diseurs ", dont les talebs, meddahs ,goualine et femmes’m’sama’e etc…nourrissent leurs auditoires , telle est cette culture populaire , nous dit Mohamed Belhafaoui dans son remarquable ouvrage sur " La poésie arabe Maghrébine d'expression populaire "(ed – Maspero Paris 1982)et dont se nourrissaient et se nourrissent sûrement encore écrit-il :

"…. Bien des familles arabes et Kabyles d'Afrique du Nord , (….) d'une culture vraiment populaire , pour tous , et non une culture de luxe pour les snobs , pour les citoyens privilégiés , et étrangers au peuple comme le regrettait un journaliste français avec amertume …."
C'est ce commerce quotidien , des petites gens comme des lettrés , avec cette authentique poésie , qui explique que la langue du peuple soit à peu de chose près la même que cette des bardes . L'expression de ces derniers est bien "dialectale" .elles est plus châtiée , plus littéraire ,plus riche ….mais n'en va-t-il pas de même pour toutes les littératures , pour toutes les poésies sous toutes latitudes ? Que de grands mères illettrées nous ont surpris par leurs récits , et même leurs conversations les plus banales(L’auteur du présent ouvrage se doit de rendre hommage au passage à sa mère véritable bibliothèque de la poésie orale populaire dialectale d’antan qui lui a permis la restitution de maintes poésies,et à son père pour ses inestimables ouvrages littéraires en arabe et en français légués ) tant de merveilles de cette littérature populaire, à travers les riches récits , contes, légendes, poèmes épiques et faits authentiques rapportés en rimes du « chi’er melhoun », et entre autres les innombrables citations de proverbes, de dictons ,ou d’adages populaires tirant expérience de la vie, etc.…

A titre d’exemple ces dictons révélateurs : "A'êttini Sabek Lahla Djra; A'êttini Fahem Lahla Kra" (Donnez moi un vainqueur de courses même s'il n’a jamais couru ; Donnez moi un quelqu’un de subtil même s’il n’a jamais étudié ), fine distinction de la sagesse populaire entre d’une part, le tempérament gagneur et le simple concurrent et d’autre part,entre l’etre cultivé large d'esprit et le simple instruit par nécessité professionnelle , le premier surpassant le second par sa dimension transcendantale , créatrice et spirituelle,autrement dit la supériorité de l’intelligence pratique sur la rationalité froide dénuée de créativité nous enseigne la sagesse. (Curieusement cela nous rappelle la différence fondamentale qui existe entre l’esprit vivant créatif et spirituel de l’humain transcendantal et les notions raisonnables, hyper- rationnelles, froides de l’ordinateur, ne discernant point les nuances d’ordre qualitatif parce que traitant les données sur un mode quantitatif, vertigineusement impressionnant certes, mais est, et reste répétitif et mémoratif, très instructif et diffuseur massif d’informations mais non innovateur, créateur et producteur de sens et d’idées nouvelles…).

Cette littérature est également riche de Citations du Coran, des distiques des vers entiers de tel ou tel poète , dont les anciens parlent vraiment la même langue , parce que la littérature populaire est monnaie courante dans tous les milieux , et qu'en particulier on y chante comme on respire .C'est ce qui ressort d'une certaine littérature orale, une littérature exhalant l'idéal de la dignité Humaine , les vertus morales , mais aussi le noble idéal d'amour .

- De l’épopée à l’idylle d’amour

Et à propos de l'idylle d'amour, pratiquement toutes les nations et peuplades du globe comportent dans leur patrimoine littéraire les figures extraordinaires de leurs amants légendaires.
Ces grands amoureux mythiques universels immortalisés de tout temps par la littérature sont devenus des référentiels. Citons pour l'exemple ces figures connues d'un peu partout, réelles ou imaginaires : Roméo et Juliette (Angleterre), Rousslan et Ludmilla (Russie), Tristan et Iseult, Paul et Virginie (Occident chrétien), Ulysse et Pénélope (mythologie grecque), Qays et Leïla , Antar et Abla, (Machrek arabe), Hir et Ramdja (Pendjab), Samson et Dalila (mythologie hébraïque), Cléopâtre et Antoine (Egypte antique), ou encore ces couples mythiques des temps modernes comme Bonnie and Clyde (USA), Musset et Sand ( France), etc.
Concernant l'Algérie, l'élégie de Hizya, immortalisée par le barde populaire Benguittoun, la valeur esthétique et thématique avérée du poème inspiré de faits pathétiques réels, a, - de l’avis émis par un humble adepte des arts et lettres M. Khallfallah Messaoud,- incontestablement contribué à propulser Hizya et son amoureux, Saïd, parmi les couples d'amants légendaires de la littérature romantique universelle.
On rapporte que la belle Hizya bent Ahmed Belbey, des environs de Biskra, entretenait une liaison amoureuse secrète avec un certain Saïd. Mais les traditions et valeurs d'honneur de l'époque ne permirent guère l'heureux aboutissement de l'histoire et la jeune fille, malade, décéda brutalement à l'âge de 23 ans vers la fin du XIXe siècle. L'infortuné Saïd ne pouvait transcender son immense douleur qu'en confiant ses sentiments au grand aède populaire Benguittoun qui immortalisa le souvenir de sa bien-aimée Hizya et le récit d'une passion amoureuse fabuleuse.

On pense inévitablement aux amours malheureuses de Madjnoun Leïla, auxquelles se réfère si souvent la poésie classique persane et arabe. Les amants arabes du VIIe siècle furent interdits d'amour par le code d'honneur de la tribu parce que Qays avait osé chanter publiquement sa cousine Leïla. Un paysan enferme Leïla qui dépérit : elle attendra son amant errant dans le jardin éternel. Le même jour, Qays, devenu fou, meurt dans le désert, entouré de gazelles sauvages. L'Occident reconnaît ses héros en Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, Paul et Virginie, ou encore en ces amants moins connus nés de la confrontation et des échanges avec l'Orient, à travers l'Andalousie musulmane. Ainsi, ces amours «croisés» entre les deux mondes. Celles entre Aucassin, jeune chevalier franc, et Nicoletta, une princesse arabe captive. Ou, dans l'autre sens, les amours tragiques d’Abencérage et Blanca, l'Espagnole, descendante du Cid, ennemi des Maures. Aben-Hamet, séparé de Blanca, gravera en lettres arabes le nom de sa bien-aimée dans le marbre de l'Alhambra. Quant à Blanca, jusqu'à sa mort, elle attendra chaque année son bien-aimé sur un rocher.
Elle avait refusé de se convertir à l'Islam et lui de se convertir au christianisme. Désespérés, ils ne leur restait plus qu'à mourir d'amour.

En Algérie — comme indiqué ci-dessus —, c'est l'élégie de Hizya, une des plus populaires du terroir, inspirée d'une histoire vécue, qui a rejoint les mythes, légendes, récits des passions amoureuses tragiques des histoires universelles fictives ou véridiques des peuplades de l'humanité que la littérature populaire a immortalisé dans les mémoires. Constituant un pan essentiel de la culture algérienne, depuis des siècles, la tradition populaire orale se doit d'être évoquée pour rendre compte de façon appropriée la question du patrimoine littéraire, artistique et spirituel national.
A l'époque de ce qu'on a appelé «les siècles obscurs», et notamment au XVIIe siècle, ce sont surtout les meddahs (poètes louangeurs), les goualine (porteurs de mots fins), les bardes, les conteurs, les commentateurs des ghazaouate (conquêtes), diseuses bouqalate, etc. qui pallièrent le vide d'une littérature écrite, en conservant la mémoire du pays, perpétuant et réinventant histoires et récits, contes légendes et paraboles, lors des banquets, fêtes et combats..
Il n'est pas étonnant que l'amour, comme dans la plupart des littératures populaires, ait pris une telle importance.

HIZYA (*)

Extrait du poème Hizya
de Mohamed Benguittoun
Hizya est l’oeuvre de Mohamed Benguitoun, poète originaire de Sidi Khaled (région de Biskra) du Sud- Constantinois.Il fut composé en 1878, en réponse aux doléances d’un de ses amis du nom de Saiyed, le voulant à la mémoire de sa bien-aimée Hizya, décédée à la fleur de l’age, à 23 ans. C’est d’une véritable élégie dont il s’agit, et des générations d’amoureux ont vibré aux intenses marques de sensibilité, d’une touchante sincérité , exprimant dramatiquement la douleur tenaillante causée par la perte de l’etre cher : ainsi ce vers particulièrement pathétique du poète qui au paroxysme de son affliction se met à implorer, au nom du Seigneur, le fossoyeur pour qu’il ne recouvre pas de terre sa chère Hizya que ses yeux d’amoureux fou , noyés de chagrin regardent pour la dernière fois avant qu’elle ne se « dérobe » à jamais à sa vue. Ce vers touchant, l’auteur de ces lignes le restitue d’abord dans sa version dialectale originale avant de le traduire :

« Hhachemtek bel’Allah ya hheffar le’qbour * Ma teyahhche ett’rab a’ la Hizya »

Traduction :

« Je te supplie au nom d’Allah o fossoyeur- Ne fais pas tomber de la terre sur Hizya »

La traduction du poème Hizya qui suit ci-dessous est due à Sonneck, particulièrement connu pour avoir réalisé d’importants répertoires des chants arabes du Maghreb et études sur les dialectes et les poésies populaires de l’Afrique du Nord.

Hizya

( Extrait)

« Elle vaut les trésors, la belle aux beaux yeux ; et si cela ne suffit pas, ajoutes-y les habitants des villes.
Elle vaut les troupeaux des tribus, les bijoux, les palmiers des oasis, le pays des Chaouïa.
Elle vaut ce que renferment les océans ; elle vaut les Bédouins et citadins vivant au delà du Djebel Amour, et jusqu'à Ghardaïa.
Elle vaut, elle vaut le Mzab, et les plaines du Mzab,hormis les saints et les marabouts.
Elle vaut les chevaux recouverts de riches caparaçons, et l'étoile du soir.
Cela est peu, trop peu, pour ma bien-aimée, unique remède à mes maux.
Je demande pardon au Seigneur ; qu'Il ait pitié de ce malheureux !
Que Mon Seigneur et Maître pardonne à celui qui gémit à ses pieds !
Elle avait 23 ans, la belle à l'écharpe de soie.
Mon amour l'a suivie ; il ne renaîtra jamais dans mon coeur.
Consolez-moi de la perte de la reine des gazelles.
Elle habite la demeure des ténèbres, l'éternel séjour.
Jeunes amis ! Consolez-moi de la perte du faucon.
Elle n'a laissé que le lieu où sa famille a campé, et qui porte son nom.
Bonnes gens ! Consolez-moi de la perte de la belle aux khelkhals d'argent pur.»
Mohamed Benguittoun, 1878.



(*) Source : Sonneck M . C . Chants arabes du Maghreb…,3 Vol., Paris 1902-1904) ; et Six chansons arabes en dialecte maghrébin, journal asiatique, mai-juin,juillet,aout ,sept. Oct. 1839 , Paris 8 è).




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