Algérie - Revue de Presse

Un lieu, un nom: Le Professeur Boudraa Belabbès : l'homme des choix douloureux


Rien que l'évocation de son nom force le respect. Ses pairs encore en vie, ses anciens étudiants en poste ou installés, comme on dit dans le jargon de la profession, lui témoignent beaucoup d'égards. Malgré son état de santé déclinant, on le ramène aux commémorations marquantes (la dernière en date celle du Docteur Nekkache) et aux séances d'ouverture des congrès et rencontres médicaux. Incontestablement, le Professeur Boudraa Belabbès est érigé par tous ceux qui l'ont connu (et ils sont des milliers) en exemple de la probité morale, du dévouement pour sa profession. Depuis son enfance, il a été amené à opérer des choix difficiles dans sa vie, parfois au détriment de ce qui lui est le plus cher au monde. Né le 28 avril 1925 à Sidi Bel-Abbès, il rejoindra Oran très tôt avec sa famille. Il fréquentera dès son jeune âge la Médersa El-Falah de M'dina Jdida fondée par les islahistes. En 1939, il réussira son certificat d'études, ce qui constitue en soi un défi eu égard aux conditions d'existence de la majorité des Algériens à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Son goût prononcé pour les challenges, exprimé dès son enfance, le motive à pousser encore plus ses études. Il s'inscrira au lycée Lamoricière où les indigènes constituaient une infime minorité. Il décrochera son bac en 1945, ce qui n'est pas une simple sinécure. A partir de ce moment, les horizons se dégagent aux yeux du jeune Belabbès, issu, il faut le rappeler, d'une famille modeste.

Dans un premier temps, il tentera d'entamer des études de médecine à la faculté d'Alger. Mais les obstacles qui se dresseront devant lui ne le poussent pas au renoncement. Au contraire, il décide de partir à Poitiers pour réaliser son rêve de devenir médecin. Dans cette ville, il fera la rencontre de maître Bel-Abbès (de Relizane), lui aussi issu d'un milieu pauvre, décrochant lui aussi son diplôme d'avocat par la force des bras. Une amitié solide naîtra entre les deux hommes, amitié qui sera consolidée par leur engagement dans la guerre de Libération nationale une dizaine d'années après. Pour gagner sa vie, parallèlement à ses études, Le futur professeur Boudraa jouera dans un club de football de seconde zone de sa ville d'adoption Poitiers. En 1956, Boudraa s'installera à Paris pour terminer son diplôme de chirurgien. Mais il ne résistera pas une seconde à l'appel de la patrie et laissera tomber son diplôme pour rejoindre les rangs de l'ALN. Ce qui constitue un choix douloureux pour le jeune Boudraa rompu aux défis...

Déjà marié et père de famille, il se retrouve dans la base de l'est sur la frontière tunisienne. C'est lui, selon des témoignages concordants, qui s'est chargé des blessés des bombardements de Sakiet Sidi Youssef.

Dans un hommage que lui a rendu un de ses disciples, il évoque la lettre de remerciements que lui a envoyé Krim Belkacem à qui il a prodigué des soins. Sur un site internet d'une revue médicale, on trouve une photo de Boudraa avec Rabah Bitat et Krim Belkacem, tous les trois en tenue militaire. Dans la bibliothèque du salon de sa villa est exposée une photo de Zeddour Mohamed Brahim Belkacem avec une inscription de la main de ce grand militant liquidé par la DST. Ce qui prouve que Boudraa a connu les plus grandes figures du nationalisme algérien. En tant que chirurgien, il sera appelé à accomplir plusieurs missions et passer d'est en ouest. Mais ce que tout le monde retient de la trajectoire de Boudraa, c'est son renoncement volontaire de terminer son diplôme de spécialiste pour se mettre au service de la cause de son pays en guerre. Nombreux de ceux qui ont occupé de hauts postes de responsabilité ont été incapables d'accomplir un pareil choix...

A la veille de l'indépendance, sa femme et ses cinq enfants se retrouveront à Tanger au Maroc, alors que lui était sur le terrain pour venir au secours des victimes du terrorisme de l'OAS. Quand sa femme, apparemment de fort caractère, le retrouvera à Oran, il portait sa blouse blanche immaculée de sang des victimes. Totalement pris par l'urgence de sa tâche, il ne s'est accordé même pas un moment de répit pour aller récupérer ses enfants et sa compagne. Une fois la paix revenue, Boudraa sera parmi les premiers à investir le CHU Oran pour le remettre en marche après le départ massif des médecins français. Il s'installera au pavillon 10 de chirurgie qu'il ne quittera qu'en 1994 après son départ en retraite.

C'est lui qui se chargera de la formation de toute une génération de chirurgiens, dont certains exercent jusqu'aujourd'hui. Il sera sur tous les fronts pour accomplir au mieux sa mission. Au moment où certains s'accaparaient les demeures vacantes après le départ précipité des pieds-noirs, Boudraa, préoccupé par l'étendue de ce qu'il considère toujours son devoir, décide de s'installer dans un appartement d'astreinte au sein de son lieu de travail.

A cette époque, son ami de toujours, Maître Bel-Abbès fût nommé préfet d'Oran pendant quelques mois. Mais vite, il se retrouvera à la rue et sera obligé de chercher un lieu où s'abriter avec les siens. Finalement, le hasard décidera à sa place et se retrouve avec les siens dans son habitation actuelle. Fallait-il s'adjuger le maximum de bien immobiliers, ne serait-ce que pour garantir le logement à ses sept enfants, ou au contraire se contenter d'une unique maison ? Contrairement à plein d'autres, Boudraa, forgé dans l'école de l'effort et fidèle à une morale et à une éthique, a opté pour le second choix. Et apparemment, il ne le regrette pas.

Dans les années 60, il terminera son diplôme. Mieux encore, il occupera le poste de maire de la ville d'Oran entre 1963 et 1965. Il sera le premier P/APW de la wilaya d'Oran. Mais ces haltes dans sa trajectoire personnelle ne comptent pas énormément. Pour preuve, il refusera la députation en 1977 au temps du parti unique. C'est à lui que revient l'insigne honneur de batailler pour la construction de l'annexe de la Faculté de médecine jouxtant presque le CHU Oran.

C'était en 1970, quand il a été nommé doyen de la Faculté de médecine. Il est, de l'avis de tous, le père incontesté de la chirurgie ici à Oran. Encore un choix pas du tout aisé. Les professeurs et médecins se rappellent toujours de Boudraa, et de sa voiture de marque Peugeot 404, présent à tout heure dans son service. On dit qu'il a sacrifié ses enfants pour se consacrer à son métier. Mais quand on surprend le regard que porte sa fille Leïla sur son père, on ne relève que de l'admiration et de l'affection. L'attention dont l'entoure sa femme démontre qu'elle a toujours assumé avec lui ses choix.

A son âge et malgré sa santé déclinante, l'homme est toujours disposé à offrir et à donner. Lors de notre brève passage chez lui (avec Si Abderhmane et Lahcen), le Professeur Boudraa a veillé à nous mettre à l'aise. Malgré les trous de mémoire, il n'a pas formulé un regret, encore moins une plainte. Pourtant, sa ville, et au-delà son pays, ne lui ont rien offert jusqu'ici. Une dette à régler...






c'est tout simplement une légende...
RAIS Djamel - directeur d'établissement de formation - Mohammadia, Algérie

22/10/2011 - 21051

Commentaires

Merci pour ce bel éloge rendu à cet homme que j'ai vu hier . Il nous rendait visite, accompagné de son épouse et de l'un de ses enfants , Malek chirurgien -dentiste. Il est demeuré l'homme qu'il était, doux, attentif aux autres,très poli,souriant ne se plaignant jamais malgré ses absences.
- relizane
14/03/2010 - 5033

Commentaires

Tres bel article, un grand monsieur et une grande famille la famille Boudraa originaire de MASCARA & ORAN est l'une des plus grande en Algerie, il a beaucoup apporté au développement de la société algerienne. Beaucoup de respect. Paris
Paris - Medecin - Paris
05/08/2008 - 1721

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