Algérie - Hommage

Algérie - Mahand Massaoudène: Une vie consacrée à la forêt algérienne et à la recherche forestière



Algérie -  Mahand Massaoudène: Une vie consacrée à la forêt algérienne et à la recherche forestière




Le secteur forestier algérien vient de perdre, en la personne de Mahand Messaoudène, un monument de la recherche forestière. Un passionné de la forêt et un amoureux de la nature, quelqu’un qui croyait en la valeur de la forêt algérienne. Son décès est survenu le 18 novembre 2016 suite à un malaise cardiaque en haute altitude au Djurdjura (comme il l’a toujours souhaité). Cette disparition, après trente-six ans consacrés à comprendre le fonctionnement écophysiologique des arbres, est une grande perte pour la recherche forestière et le mouvement associatif.

Né le 8 mai 1954 à Iguersafène (commune d’Idjeur, wilaya de Tizi Ouzou), après un ingéniorat en foresterie à l’Institut des techniques agricoles de Mostaganem en 1980, il intègre l’Institut national de recherche forestière où il obtient une bourse pour un diplôme d’études approfondies (DEA) en France suivie d’un doctorat de l’Université d’Aix-Marseille en 1989. Faisant partie de la première génération de docteurs forestiers algériens formés en Europe, ses études en France et sa vie passée en montagne et en forêt ont forgé sa vision des milieux forestiers et tracé son chemin dans la recherche forestière en le dotant d’une multidisciplinarité bien nette dans sa production scientifique. Son sens de la collaboration lui a permis de tisser des réseaux d’échange à travers tout le pourtour méditerranéen. Les nombreuses collaborations ont permis l’aboutissement de plusieurs projets de recherche et la publication de plusieurs articles nationaux et internationaux, de recherche fondamentale ou appliquée et de vulgarisation. Sa vision de la recherche forestière s’exprimait à travers ses paroles; il aimait à dire: «Dans la recherche, il faut apporter du nouveau, sortir des bureaux et aller observer, travailler en groupe et œuvrer pour une valorisation des résultats de la recherche.»

Son DEA, soutenu en 1985 sous la direction du professeur Pierre Quézel, a porté sur l’identification et la cartographie des peuplements forestiers de l’Akfadou et des Beni Ghobri (Kabylie). Sa thèse de doctorat, soutenue en 1989 et codirigée par les professeurs Lucien Teissier et Françoise Serre-Bachet, a consisté en l’étude dendroécologique des deux chênes caducifoliés de Kabylie, le chêne zéen et le chêne afarès. Cette thèse, Dendroécologie et productivité de Quercus afarès Pomel et Quercus canariensis Will dans les massifs forestiers de l’Akfadou et de Beni Ghobri en Algérie est pionnière à plus d’un titre. C’est avec lui que les méthodes d’analyse des cernes du bois et de leur relation avec le climat sont initiées en Algérie; depuis ce jour, ces méthodes ont été généralisées pour toucher d’autres formations forestières et d’autres régions du pays.

Il était le premier à s’intéresser au comportement et à la croissance des deux chênes caducifoliés. Les descriptions rapportées dans sa thèse et dans ses articles sont à la base de plusieurs études réalisées à partir des années 1990. Montrer les potentialités de production de ces deux essences était, pour lui, un objectif primordial afin de les valoriser. C’est dans cette optique qu’il n’a ménagé aucun effort pour créer une station régionale de recherche forestière à Yakourène dans le but d’approfondir les connaissances sur ces deux chênes en plus du chêne-liège et autres thématiques, notamment, cynégétique. Des inventaires et des expérimentations étaient menés sur quelques aspects inhérents à ces espèces (croissance radiale, relation avec le climat, tarif de cubage, régénération, reboisement…). Malheureusement, il n’aura pas eu le temps d’établir une table de production pour la chênaie de l’Akfadou et de continuer à militer pour le classement de celle-ci comme parc régional.

Au cours des années 2000 et après un bref retrait dû à des problèmes de santé, M. Messaoudène reprend ses travaux de recherche pour s’intéresser au chêne-liège et tenter, avec ses collègues, de rendre à cette espèce sa valeur historique. C’est dans ce sens que plusieurs études ont été conduites sur les plantations, la régénération naturelle, la reprise après incendie et la qualité du liège. Il était très actif et très motivé pour contribuer au rétablissement de cette espèce dans son rôle économique produisant un produit exportable.

Ses nombreuses communications et interventions, notamment lors des rencontres chercheurs-gestionnaires-industriels organisées périodiquement témoignent de sa ferveur et de son engagement à rétablir les subéraies algériennes. Lors de ces rencontres et des autres séminaires et colloques internationaux, il marquait toujours les esprits par sa franchise, son désaccord avec la politique forestière, ses critiques et propositions constructives, son enthousiasme à voir les travaux innovants et ses connaissances très variées.

La qualité des produits forestiers, particulièrement le bois, est une thématique qui l’intéressait beaucoup au point qu’il s’était battu pour la construction d’un laboratoire de technologie du bois. Son souhait était de le voir fonctionner mais le projet n’a pas encore abouti. Son amour de l’arbre, en particulier du chêne, lui faisait refuser le qualificatif de bois de mauvaise qualité attribué au chêne zéen. Pour lui, «on peut toujours l’améliorer et orienter ses utilisations». En collaboration avec d’autres chercheurs, deux études ont été publiées, respectivement en 2004 et 2009 sur les qualités physiques et mécaniques du bois de cèdre de l’Atlas et de chêne zéen. Au moment où a surgi la problématique du dépérissement des cédraies, M. Messaoudène a mis à la disposition de la communauté scientifique et de l’administration forestière sa maîtrise de l’approche dendrochronologique et il a grandement contribué à l’aboutissement de plusieurs travaux de recherche mettant en évidence l’effet des sécheresses prolongées sur le dépérissement du cèdre de l’Atlas.

Ces dernières années, il était extrêmement occupé par des charges administratives (président du conseil scientifique de l’Institut national de recherche forestière et membre de la commission nationale d’évaluation des chercheurs permanents) et par la participation à plusieurs jurys de soutenance de thèses de magister et de doctorat. Sa charge de travail, parfois insupportable, ne lui a pas fait oublier sa mission de formation bien qu’elle ne fît pas partie de ses obligations. Il a enseigné à l’université de Tizi Ouzou comme professeur associé et a donné des conférences aux étudiants de plusieurs autres universités. Une soixantaine d’ingénieurs, de magisters et de doctorants se sont formés sous sa direction.

Mahand Messaoudène ne voulait pas être confiné au milieu académique, celui-ci était d’ailleurs loin d’être son milieu vital exclusif. Dans le cadre de son travail, il aimait beaucoup sortir sur terrain et rencontrer les forestiers, qu’il estimait beaucoup. Il a trouvé dans le mouvement associatif, culturel et environnemental, un moyen de sensibiliser la société et de lui transmettre l’importance des enjeux liés aux milieux naturels. M. Messaoudène était un infatigable défenseur de la forêt, membre fondateur de l’association de protection de l’environnement de Tizi-Ouzou et initiateur du projet Forêt-école visant à faire connaître la forêt aux enfants. Il a pu réunir des centaines de personnes de divers champs et de différentes régions dans le cadre des randonnées qu’il organisait. Malgré sa position de directeur de recherches et ses nombreuses obligations professionnelles, il n’a jamais abandonné sa vie de villageois modeste et impliqué dans la vie sociale et sociétale. Ceux qui l’ont côtoyé gardent de lui le souvenir de ses qualités humaines exceptionnelles de sage rassembleur, de réconciliateur et de bâtisseur. Il a gagné la sympathie aussi bien des jeunes que des vieux grâce à sa générosité et à son caractère d’homme compréhensif et désintéressé.

Il repose désormais dans son village natal. Paix à son âme.


P. S.: Une version plus détaillée est publiée dans la Revue Forestière Française N°68 (4), 2016.


Contribution par: Dr Khellaf Rabhi*,
maître de conférences, Université Batna 1.


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