Comme à
l'accoutumée, il lit ses journaux en cette fin d'après-midi d'une journée de
Ramadhan. Cette lecture quotidienne après le retour du travail et en attendant
la rupture du jeûne, l'aide à patienter.
Il lit avec
application et ne néglige pratiquement aucun article contrairement à sa
pratique, hors de ce mois, où il se contente de parcourir en oblique de
nombreuses pages, n'accordant d'intérêt qu'aux plumes qu'il apprécie et dont il
attend, beaucoup plus des formulations savoureuses et de ravissantes tournures
qu'une information qu'il a d'autres moyens d'acquérir vite et plus tôt. Il a
pratiquement terminé sa revue de la presse quotidienne quand son attention est
retenue par un entrefilet consacré à la Lune.
Il rapporte
l'information, selon la NASA, que le satellite de la terre rétrécit par
refroidissement interne et que sa circonférence s'est contractée, récemment,
d'une centaine de mètres environ.
A peine arrivé au
bout de l'article, il a déjà l'esprit ailleurs. Ses pensées vont vers l'épopée
vécue par les hommes un certain 21 Juillet 1969.
La réalité
venait, alors, de rejoindre la fiction décrite par Jules Verne en 1865 dans «
De la Terre à la Lune» et plus tard par Hergé dans ses bandes dessinées en 1953
et 1954.
Neil Armstrong
faisait le grand pas de l'Humanité dans la conquête scientifique et, avec Buzz
Aldrin, plantait le drapeau Américain sur le sol Lunaire.
Les hommes
venaient d'atteindre physiquement la Lune et de transformer l'essai de 1959,
quand le premier engin Soviétique, Luna 2, s'y écrasa.
Ce jour là, il
revenait de la grande ville où il venait de s'inscrire à l'Université. Il
rejoignait le domicile parentale dans un bidonville, hérité de la période
coloniale, où se sont regroupés les paysans des environs, chassés par le
harcèlement quotidien des avions « jaunes ». La demeure familiale trônait au
centre d'un ensemble informe de maisons édifiées avec des matériaux hétéroclites,
serrées les unes contre les autres autour de sentier étroits et poussiéreux et
sans aucune commodité.
Le quartier
cachait toute la misère d'un pays à peine sorti des ténèbres coloniales ,mais
couvait, aussi, une dense ignorance exploitée, déjà, par les rentiers de la foi
qui y trouvait une source intarissable de revenus.
Il était, en
cette année, l'un des très rares bacheliers de la petite bourgade et le seul du
gros bidonville.
Il se savait privilégié et plaignait
secrètement tous ses habitants qui ne pouvaient se douter du bonheur que peut
procurer le savoir, même dans ses balbutiements.
Tous les voisin
le respectaient et beaucoup l'admiraient même. Il le leur rendait bien en les
aidant dans leur démarches administratives et en leur prêtant, avec grâce, sa
plume pour toute missive personnelle ou officielle. Ses avis étaient
sollicités, pratiquement sur tout, même sur certains remèdes et il s'en sortait
avec beaucoup de patience et de tact. Il essayait dans toutes les situations de
s'en tenir aux règles du bon sens et de la rationalité auxquelles il s'est tant
abreuvé durant ses études jusqu'alors.
Ses conseils
étaient généralement appréciés et beaucoup de gens lui témoignaient, parfois
avec ostentation, leur satisfaction de l'avoir consulté.
Son plus grand
fan, était le vieux commerçant originaire du Sud, établi dans une pièce de leur
maison ouverte sur l'extérieur et mise à sa disposition par le père pour un
modique loyer.
Le vieil homme
dont la curiosité naturelle a été fortement aiguisée par sa profession, aimait
s'entretenir avec lui et à chaque occasion lui posait moult questions sur tous
les progrès des hommes en sciences et en techniques.
Ce jour là, comme
à chaque fois qu'il venait chez lui, il s'arrêta pour le saluer et le surprit
en pleine discussion avec trois clients. Il reconnut, parmi eux, le Taleb du
coin qui gesticulait et bavait les yeux exorbités comme s'il se défendait
contre un assaut du diable. A son arrivée, le visage du commerçant s'illumina
d'un large sourire et s'adressant à ses interlocuteurs il leur proposa
d'écouter l'avis du jeune bachelier qui vient de rejoindre la Faculté, sur le
sujet qui les oppose.
Evidemment, la
question portait sur l'alunissage ou, pour utiliser une expression plus
académique, l'atterrissage sur le sol Lunaire d'un engin spatial habité par les
hommes. Le commerçant soutenait, seul, la réalité de l'événement, face aux
trois négateurs menés par le Taleb imbu de sa science et convaincu qu'un tel
exploit ne peut être de l'ordre humain. Seuls les créatures célestes peuplent
les cieux et peuvent s'y mouvoir par la volonté de Dieu.
Les hommes, selon
lui, se sont posés sur le plus haut sommet de la terre et, dans leur immense
naïveté, pensent avoir atteint la Lune. Ainsi l'homme de religion tente de
mettre l'acte des hommes en concurrence avec la puissance divine pour se
rallier des croyants naïfs et crédules qui croient, en toute sincérité,
défendre leur foi agressée. La manÅ“uvre réussit toujours et le débat déplacé de
sa véritable sphère ne se déroule plus entre des hommes mais entre des «
blasphémateurs » et de courageux défenseurs de la Foi. Le combat est, dans ses
conditions, perdu avant d'être engagé.
Mais, cette
attitude que peut expliquer l'époque, l'ignorance et la misère est désarmante
quand on la rencontre, aujourd'hui en ce début du troisième millénaire.
A l'occasion du
quarantième anniversaire du débarquement Lunaire, le 21 Juillet 2009, le Daily
Telegraph a publié les résultats d'un sondage d'opinion sur Apollo XI, un
Britannique sur quatre pense que c'est un gag et que les hommes n'ont jamais
mis les pieds sur la Lune.
En 1969 déjà, des
détracteurs n'ont pas manqué de jeter le doute sur l'événement et, s'appuyant
sur les défauts que présentaient les images diffusés par la télévision et sur
le mouvement du drapeau agité par une brise improbable sur la Lune, ont conclu
à la mise en scène. Les réponses scientifiques expliquant les anomalies de
luminosité par la surface réfléchissante de la Lune et l'ondoyance du drapeau
par la force de l'inertie lors de son déploiement ne les ont pas fait démordre.
Le rédacteur en
chef Dickon Ross commenta la situation avec beaucoup de tristesse : «
l'atterrissage d'Apollo fut la manifestation la plus remarquable du génie
humain.
Il est par
conséquent profondément regrettable qu'un si grand nombre de gens puissent
penser que la première marche sur la Lune n'a jamais eu lieu et que l'adhésion
du public envers la légitimité de la science et de la technique semble décliner
au fil du temps ».
En cette journée
historique du 21 Juillet 1969, face à la crédulité des regards posés sur lui,
il sût qu'aucun argument ne résisterait au piège qu'avait noué le Taleb avant
même l'entame de toute discussion. Ce n'était pas le jour de la raison, il se
contenta alors de rappeler à l'assistance que Dieu a doté l'homme
d'intelligence et que le véritable blasphème serait de renoncer à en tirer
profit et il s'empressa de renter chez lui.
Le soir,
suffocant dans le petit réduit qui lui était réservé dans la demeure familiale,
il prit le fin matelas traditionnel qui lui servait de couche et s'installa,
dans la cour, sous les étoiles.
Sa mère, l'ayant
vu faire, l'interpella à haute voix pour lui déconseiller de dormir sous la
Lune. Une Lune que les hommes venaient à peine de fouler. Le lendemain sur le
chemin du centre ville, il entendit une musique que diffusait un disquaire du
coin et la chanteuse de Raï qui se plaignait que son bien-aimé tarde à rentrer
alors qu'Apollo avait vite fait de revenir de la Lune. Ainsi, la chanteuse
admettait la prouesse scientifique ; comme quoi l'Amour ne rend pas toujours
aveugle.
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Posté Le : 26/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com