Algérie - Actualité littéraire

Nos Justes à nous : qui se souvient de Pierre-Henri Simon ?




Nos Justes à nous : qui se souvient de Pierre-Henri Simon ?
Pierre-Henri Simon (1903-1972) est un historien français, essayiste et romancier de renom, élu à l’Académie française en 1966, Officier de la Légion d’honneur et Chevalier de l’Ordre national du Mérite. En 1957 il publie aux éditions du Seuil « Contre la torture », un cri de cœur pour « l’honneur de la France » qui perd de son lustre en Algérie, souillé par la pratique généralisée de la torture qu’il dénonce avec des mots qui méritent d’être entendus encore aujourd’hui.


Pierre-Henri Simon n’était ni de gauche ni antimilitariste ni, surtout acquis à l’idée de l’indépendance de l’Algérie. C’est en cela que son cri du cœur « contre la torture » en Algérie, qui a eu un retentissement mondial, prend tout son intérêt. En publiant ce livre, il ne pouvait ignorer qu’il apportait des éléments de délégitimation de la présence coloniale en Algérie et qu’il permettait de renforcer les arguments du FLN en faveur de l’indépendance.

Il savait aussi qu’il allait déclencher contre sa personne des attaques violentes qui pouvaient mettre en péril et sa sécurité et sa carrière. En cela, c’est un exemple de probité et de courage intellectuel qu’on ne saluera jamais assez. (Lire aussi : Colonialisme et guerre d’Algerie: Nos Justes à nous)

Dès l’ouverture du livre, l’auteur donne le ton de sa publication à travers une dédicace qui en dit long sur ses véritables motivations : « Aux Françaises et aux Français qui ont résisté à Hitler ; à celles et à ceux qui ont affronté les périls, défié la mort et subi la torture afin que cette ombre recule au ciel de l’Histoire, je dédie ce cri pour la justice et l’honneur. »

D’emblée, l’auteur s’explique. Il explique son déchirement entre le devoir d’être en accord avec ses principes et sa conscience et la peur de voir la nation et son armée interpréter sa position comme une trahison, lui qui a porté l’uniforme pendant sept ans « sans jamais que cela (lui) pèse :

« J’écrirai ce livre. Non de gaîté de cœur : je sais que les mots souvent me déchireront ; je sais que je vais soulever contre moi des colères qui éclateront en injures et en calomnies, et je me sens plus à l’aise dans l’amitié que dans l’inimitié ; je pense surtout que je vais choquer et surprendre d’honnêtes gens, des êtres chers, et que je souffrirai de leurs reproches et de leurs silences. Et pourtant, il faut que j’élève une voix qui m’étouffe, depuis que la connaissance de certains faits obsède ma conscience de Français ; il faut que l’écrivain qui ne l’est pas par divertissement ou par intérêt, par esprit de commerce ou de vanité, mais pour le service de l’esprit, jette parfois au-dessus du chaos des évènements, au-dessus des bêlements du troupeau, un cri qui réveille les hommes. »

En vérité, tout est déjà dit dans cette entrée en matière. Mais en page 67, on comprend un peu mieux l’état d’esprit de Pierre-Henri Simon face à sa propre décision et l’on comprend surtout le malaise qui l’habite :

« Je m’efforce d’être juste ; les actes, en soi criminels, que je vais dénoncer, je les replace dans un processus historique où ils deviennent psychologiquement explicables, où les responsabilités personnelles sont atténuées. D’une part l’accoutumance à la mentalité de la guerre totale, d’autre part les conditions particulières de la guerre contre un peuple en rébellion, inclinent le soldat à une dureté qui ne fait plus d’acception entre les personnes, et qui brouille à son regard la limite, pourtant essentielle, entre la violence licite et la brutalité coupable. C’est ainsi que l’on arrive à cette monstruosité : la pratique de la torture par des militaires. »

Dans un chapitre intitulé « Gerbe de faits », l’auteur rapporte des témoignage portant sue la pratique de la torture par l’armée française en Algérie, témoignages de soldats, de prêtres, d’instituteurs, de médecins et de simples citoyens que nous ne rapporterons pas ici. Par contre voici comment il les présente : « Voici donc une gerbe, non point de fleurs, de politesse et d’humanité, mais d’épines sanglantes et honteuses. S’il est encore des Français qui sentent l’honneur comme Corneille et Péguy, la pureté du soldat comme Vauvenargues, la grandeur de la France comme Michelet et la pitié comme Hugo, ils ne liront pas sans rougir ces témoignages que je transcris avec une colère qui fait mal. On comprendra pour quelles raisons de prudence je n’en livre pas les sources ; je ne puis avoir aucun doute sur leur authenticité. »

Dans une postface à la quatrième édition de son livre, signée le 22 avril 1957, Pierre-Henri Simon écrit :

« En publiant ce petit livre, je ne prévoyais pas l’ampleur et la promptitude de ses répercussions. La sensibilité d’un large secteur de l’opinion française au mal dénoncé est à mettre à l’actif d’un peuple qui a prouvé ainsi la vitalité de sa conscience morale. Telle fut l’interprétation fréquemment donnée par la presse étrangère, du Time de New York au Soir de Bruxelles, en passant par le Frankfurter Zeitung et la Gazette de Lausanne. D’autres réactions furent irritantes et décevantes. Du côté français, un grand nombre de voix officieuses ou privées, appuyées par des voix officielles, donnèrent certes leur accord à la condamnation des sévices et des tortures, mais en accusant ceux qui les avaient dénoncées d’avoir participé, sciemment ou non, à un complot des ennemis de la France. »

A deux reprises, les 17 et 19 avril 1957, Pierre-Henri Simon sentira le besoin de s’explique en publiant deux tribunes au quotidien Le Monde. Voici comment il débute la première :

« Nous avons été quelques-uns à penser que, par la force des choses plus que par la malice des hommes, des méthodes de police contraires aux principes de la civilisation et à l’intérêt même de la France se sont ici ou là imposées en Algérie, au risque de pourrir la guerre, de troubler la conscience des combattants, d’abaisser la moralité de la nation, d’éloigner la paix. »
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